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Du poison pour les poissons
(ASP) - En septembre, le village de Saint-Alexandre, au sud
de Saint-Jean-sur-Richelieu, a reçu des visiteurs inquiétants:
des personnages masqués et gantés qui sont allé
répandre une substance toxique dans certains plans d'eau.
Ce commando n'avait pourtant rien de criminel. Il s'agissait
de techniciens de la faune cherchant à éliminer
la tanche, un poisson eurasien de la famille de la carpe, ensemencé
dans une dizaine d'étangs de ferme de la région
en 1986, et qui, depuis, s'est mis en tête de coloniser
le Richelieu. "Des tanches échappées de ces
étangs se sont reproduites dans la rivière, et
nous ne pouvons plus rien contre elles, rapporte Pierre Dumont,
biologiste de la Société de la faune et des parcs
du Québec (FAPAQ). Par contre, nous voulons éviter
que de nouveaux individus ne passent des étangs à
la rivière."
C'est la deuxième fois que les techniciens de la FAPAQ
(autrefois partie intégrante du ministère de l'Environnement
et de la Faune) se rendent sur ces terres appartenant à
la famille Neeser de Saint-Alexandre, elle qui a importé
les premières tanches d'Europe. Au printemps dernier,
on avait utilisé la roténone, seul "poison
à poissons" homologué au Canada, dans quatre
des neuf étangs des Neeser. L'opération a été
rééditée en septembre pour les cinq autres
petits plans d'eau. Les biologistes s'étaient d'abord
attaqué aux étangs jouxtant la route, parce qu'on
craignait que des passants récoltent ce poisson aux reflets
verts. Et ils ont attendu la fin de l'été pour
s'attaquer aux autres étangs, de façon à
épargner les grenouilles qui les utilisent pour se reproduire.
Compétition pour la survie
"L'arrivée d'une nouvelle espèce dans
un système hydrographique n'est jamais une bonne nouvelle
pour les espèces indigènes", rappelle Pierre
Dumont. Comme elle occupe les mêmes lieux de frai et se
nourrit des mêmes organismes, la tanche vient notamment
faire compétition à la perchaude et à la
barbotte, deux poissons appréciés des pêcheurs,
tant sportifs que commerciaux. Cette grosse carpe, qui peut dépasser
les 50 cm, pourrait également empirer la situation du
chevalier cuivré, une espèce menacée d'extinction
qu'on ne trouve plus que dans le Richelieu et qui consomme, comme
la tanche, de petits mollusques.
On craint également la grande capacité de reproduction
de cette espèce: une femelle d'un kilo peut pondre jusqu'à
500 000 ufs! De plus, la tanche s'adapte fort bien à notre
hiver, elle qui fréquente les pays scandinaves et la Sibérie:
elle a, entre autres, la faculté d'hiberner en s'enfouissant
sous la vase. Finalement, la pollution l'affecte peu et elle
peut tolérer un taux très faible d'oxygène,
pouvant même survivre 24 heures hors de l'eau !
"Les études menées cet été
montrent toutefois que la tanche ne se répand pas à
grande vitesse: sa présence est confirmée seulement
dans le Haut-Richelieu, et en petit nombre", précise
M. Dumont. Seulement huit tanches figurent parmi les 10 000 poissons
récoltés en juin et juillet par la FAPAQ, qui cherche
à tracer un portrait global des communautés qui
habitent dans le Richelieu.
Naturalisée au Québec
Ces mêmes études de la FAPAQ ont établi
que la tanche avait définitivement adopté le milieu
naturel. "Nous avons pu examiner des individus sur le point
de se reproduire et d'autres qui avaient moins de deux ans."
Conséquence: la tanche vient d'être officiellement
ajoutée à la liste des espèces naturalisées
au Québec. Le système hydrographique Saint-Laurent-Grands-Lacs
accueille ainsi sa 150e espèce introduite!
Parce qu'elle figure désormais sur cette liste, la
tanche ne tombera plus jamais dans le vide juridique qui a rendu
son importation possible. En effet, en 1986, la famille Neeser
avait simplement transporté, entre l'Allemagne et Montréal,
de très jeunes tanches dans des sacs hermétiques
déposés dans une glacière. Les douaniers,
ne voyant pas ce poisson sur la liste des espèces réglementées,
l'ont admis comme poissons d'aquarium.
"Maintenant, la tanche ne peut plus faire l'objet d'aquaculture,
ne peut plus servir de poisson d'ornement dans des étangs
et ne peut plus être pêchée comme poisson-appât",
énumère Pierre Dumont. Cette dernière utilisation
est certainement la plus redoutée. Comme le Haut-Richelieu
est l'un des principaux lieux de capture des petits poissons
vendus comme appâts, la tanche pourrait vite se retrouver
dans de multiples cours d'eau.
Louise Desautels
(19 septembre)
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