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Le défunt le plus controversé du monde
L'homme de Kennewick continue de susciter la
querelle. Et ce, 9000 ans après sa mort.
Cet homme est-il un ancêtre de la plupart des Premières
nations d'Amérique du Nord? Ou bien, s'agit-il d'un voyageur égaré,
venu d'Asie? Voire même d'Europe, comme voudraient le croire certains?
Depuis sa découverte il y a deux ans, "l'homme de Kennewick"
a suscité
plus de querelles que de recherches scientifiques... parce que si les
anthropologues souhaitent ardemment l'étudier, les autochtones locaux,
eux, n'ont qu'un seul désir: le mettre en terre, comme l'un des leurs.
Pour la région de Kennewick, une petite ville de l'Etat de Washington,
c'est l'événement le plus important d'un XXe siècle
jusque-là bien tranquille, et le quotidien local, le Tri-City Herald,
n'a pas manqué le coche: tous les tours et détours de cette
histoire y sont rassemblés sur une section spéciale de son
site.
Une histoire qui n'est pourtant, à la base, pas si compliquée:
le 28 juillet
1996, deux sportifs découvraient un crâne sur le bord de
la rivière Columbia. Un
mois plus tard, ce que la police avait cru être une victime d'un
crime crapuleux se révélait être l'un des plus vieux
squelettes jamais découverts en Amérique du Nord: 9000 ans.
La nation amérindienne des Umatilla réclame alors que le corps
lui soit cédé, en vertu de la loi fédérale de
1990 sur les sépultures autochtones. L'armée américaine,
propriétaire du terrain, s'apprête à le faire, lorsque
huit anthropologues
déposent une injonction, exigeant qu'on les autorise à
étudier ce témoin privilégié de la préhistoire
nord-américaine. Et comme pour rendre le problème plus captivant,
le seul anthropologue à avoir pu étudier le bonhomme avant
sa "mise sous scellés", James C. Chatters, qui agissait
dans cette affaire comme coroner pour la police, affirme que ses traits
sont plus caucasiens que mongoloïdes -au contraire des Amérindiens.
Deux ans plus tard, la controverse a fait plusieurs
fois le tour du monde, s'est rendue jusqu'au
Congrès américain, et a transformé Kennewick en
attraction
touristique.
En avril
dernier, discrètement, l'armée se débarrassait
de la patate chaude en confiant la responsabilité du squelette au
Département de l'Intérieur.
Au cours de ces deux années, les événements rocambolesques
n'ont pas manqué. Il y a eu en particulier cette cérémonie
religieuse tenue par des adeptes du culte Asatru: un culte hérité
des anciens Vikings, puisque ces gens, rassemblés dans le Nord de
la Californie, croient dur comme fer que l'homme de Kennewick était
un Européen. Plus précisément, un Européen du
Nord, blond aux yeux bleus, cela va sans dire.
Les Asatru se sont eux aussi présentés en cour pour faire
valoir leurs "droits" sur l'homme de Kennewick.
Et, croyez-le ou non, un morceau a disparu. Un fragment de fémur,
sans que le corps du génie de l'armée américaine ne
puisse expliquer qui avait eu accès au squelette.
D'autres fragments, provenant du métacarpe, pas disparus ceux-là,
totalisant un maigre 1,5 gramme, étaient détenus par l'Université
de Californie à Davis, mais les chercheurs de là-bas avaient
dû interrompre les tests d'ADN en octobre 1996, alors qu'ils venaient
à peine de commencer, lorsque les autochtones avaient déposé
leur réclamation. Ce ne serait pourtant pas avant mai 1998, devant
les pressions du ministère de la Justice, que l'Université
allait se préparer à rendre les fragments... juste avant que
le ministère de l'Intérieur -nouveau "tuteur" de
l'homme de Kennewick- n'annonce que l'Université pouvait
garder son métacarpe. C'est Jim Chatters, encore lui, qui avait
confié ces fragments à ses collègues de Davis, en octobre
1996.
Rocambolesque, disions-nous? Ca ne s'arrête pas là. En mai,
on apprenait que l'armée avait par erreur, quelques semaines plus
tôt, rendu aux Amérindiens un autre fragment du squelette.
En juin, un groupe d'anthropologues déposait un mémoire devant
une cour fédérale affirmant que les mesures appropriées
n'avaient pas été prises pour assurer la préservation
du squelette. Certains os, affirmaient les scientifiques, auraient simplement
été emmagasinés dans des sacs bruns d'épicerie.
Il y a quelques
jours, un juge, encore un, donnait son accord au déménagement
du corps du Laboratoire national du Nord-Ouest du Pacifique -sa résidence
depuis deux ans- au Musée Burke, à l'Université de
l'Etat de Washington à Seattle, où il serait, disait-on, mieux
protégé.
Bref, une histoire qui frise le ridicule, pour un homme qui n'est peut-être
même pas aussi extraordinaire qu'on le prétend -après
tout, personne n'en sait rien.
La position du chef religieux des Umatilla, Armand Minthorn, résume
à elle seule, mieux qu'une longue explication, l'incompatibilité
des positions des scientifiques et des autochtones: "de par notre histoire
orale, nous savons que notre peuple a vécu sur cette terre depuis
le commencement des temps... Certains scientifiques disent que si cet individu
n'est pas étudié, nous, en tant qu'Indiens, détruirons
des preuves de notre proprehistoire. Nous connaissons déjà
notre histoire. Elle nous a été transmise par nos aînés
et à travers nos pratiques religieuses."
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