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Humains en pot
Lorsqu'en fin d'année, les magazines
spécialisés feront part de leurs choix pour les "découvertes
de l'année" celle-ci figurera en bonne place. En fait, elle
pourrait même se mériter le titre de découverte de la
décennie. Elle contient le germe de toutes les peurs nées
avec la brebis Dolly. A la différence que, cette fois, ces peurs
sont beaucoup plus réalistes.
Les médias des quatre coins du monde l'ont rapporté en
fin de semaine, et ont trouvé l'expression juste: deux équipes
ont découvert le moyen de faire pousser un humain en laboratoire.
Enfin, une partie d'humain. Ou des parties. Qui, en s'additionnant, qui
sait...
L'innovation réside dans ce qu'on appelle les cellules souches
(stem cells), ou cellules embryonnaires souches, qui sont les mères
de toutes les cellules de notre corps. Présentes aux premières
heures de l'embryon, elles sont à l'origine des cellules spécialisées
qui apparaîtront par la suite (cellules sanguines, osseuses, cellules
des différents organes, etc.). On dit d'elles qu'elles sont "totipotentes",
ce qui signifie qu'elles ne sont pas encore spécialisées -donc,
qu'elles peuvent devenir n'importe quoi. En d'autres termes, elles constituent
la "matière première" pour "fabriquer"
n'importe quel organe -ou pour réparer n'importe quel.
A condition, évidemment, d'arriver à les convaincre de
se multiplier en laboratoire. Tel était le défi, et il était
de taille, puisqu'il
a fallu pour en arriver là 17 ans aux deux équipes de
scientifiques qui publient dans la dernière édition des revues
Science (celle du Dr James Thomson, qui est arrivée la première
au fil d'arrivée) et Journal of the Proceedings of the National
Academy of Science. Et ils ont accompli cet exploit avec deux méthodes
distinctes -lesquelles, comme ils en sont pleinement conscients, pourraient
révolutionner la médecine.
Car le potentiel est immense, lit-on dans un
commentaire du biologiste John Gearhart -l'autre découvreur-
publié par Science: ces cellules pourraient en théorie servir
à produire une banque illimitée de tissus pour des transplantations.
Elles pourraient également servir à expérimenter
à moindre coût des médicaments destinés à
traiter un organe spécifique -une manne pour l'industrie pharmaceutique.
Enfin, énumère dans Science le Dr James Thomson, ces "cellules
souches" pourraient servir à traiter des grands brûlés,
des victimes d'accidents dont la colonne vertébrale a été
rompue, des malades atteints de Parkinson ou d'Alzheimer, voire de diabète:
tous des cas où la régénération de cellules,
ou le remplacement de cellules mortes par des cellules en pleine santé
(pensons aux cellules de la peau chez des grands brûlés, ou
à celles du cerveau dans le cas de l'Alzheimer), transformerait radicalement
l'état de santé du patient. Bref, les possibilités
en santé publique sont "sans limites", déclare James
Thomson, de l'Université du Wisconsin. "Ces cellules souches
peuvent potentiellement donner naissance à n'importe quoi, et ne
mourront jamais."
Mais tout cela, c'est le volet "honorable" de l'affaire, contestent
les éthiciens. Car dans les faits, pour en arriver à faire
se multiplier ces cellules, il en faut, de ces cellules. Et où les
prend-on? Eh bien, sur des embryons. D'où un problème éthique
majeur, souligne Libération: "peut-on
utiliser un embryon humain à des fins expérimentales ou médicales?"
Et le problème éthique ne s'arrête pas là.
Ces "usines à cellules" pourraient, on l'a dit, servir
à des transplantations; le risque de rejet pourrait en théorie
être éliminé par des manipulations génétiques,
mais si ces manipulations s'avéraient trop hasardeuses, il resterait
une alternative plus simple: le clonage. En effet, en associant les deux
techniques, celle de la culture des cellules souches avec celle du clonage,
on éliminerait les risques de rejet lors d'une transplantation d'organe.
Le biologiste Gearhart l'envisage dans son commentaire. Ce qui fait dire
à Libération que du coup, on vient, mine de rien, d'assurer
au clonage humain un avenir "médicalement correct".
Et des scientifiques voyaient venir cela d'assez loin pour s'y être
préparés: il y a quatre ans, aux Etats-Unis, un comité
sur la recherche sur les embryons humains avait déposé un
rapport au National Institutes of Health (NIH), concluant que les recherches
utilisant des cellules souches étaient acceptables, tant que des
embryons n'étaient pas créés spécifiquement
à cette fin.
A l'heure actuelle, rappelle Science dans un
article qu'elle consacre spécialement -un fait rare- aux aspects
légaux de la chose, la loi américaine interdit l'usage
de fonds publics pour des recherches "sur des tissus dérivés
d'embryons humains". Ce qui, on suppose -mais cela reste sujet à
interprétation- éliminerait les recherches sur ces cellules
souches. Mais la loi ne dit rien des fonds provenant de compagnies privées...
Et on ne peut s'empêcher de noter cette partie du reportage
du réseau ABC, où le président de la compagnie
de biotechnologie californienne Geron Corp. -qui a financé en partie
les deux recherches, en plus de se réserver les droits exclusifs
sur l'exploitation commerciale des travaux du Dr James Thomson- associe
la (peut-être) future industrie des cellules souches à une
industrie de l'ordre du milliard de dollars: chaque année, plus de
100 000 Américains meurent à cause du mauvais fonctionnement
d'un organe ou d'une perte de tissus; 10 millions subissent une chirurgie
pour un de ces problèmes. Les coûts dépassent le milliard.
Des "cultures de cellules souches" pourraient en conséquence
-c'est le rêve ultime- pallier à tout cela, en fabriquant littéralement
sur demande des organes ou des tissus humains.
Ce n'est pas pour tout de suite. Mais c'est beaucoup plus près
qu'on ne l'aurait cru. Selon John Gearhart, de l'Université John
Hopkins, l'utilisation pratique de cette technique à une grande échelle
est à cinq, peut-être dix années, dans le futur.
Demain matin, quoi. |