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Pour compléter cette chronique:

Voyez la page spéciale sur la comète Hale-Bopp

 

Combattre la superstition ou combattre Internet?

par Pascal Lapointe
Agence Science-Presse

Première parution: La Presse (Montréal), 2 avril 1997

 

Les illuminés, les crackpots, les bizarroïdes, les gourous, se seraient-ils tous donnés rendez-vous sur Internet? C'est ce qu'on pouvait croire la semaine dernière à lire des interventions "d'experts" dans la foulée du suicide collectif des 39 adeptes de la secte Heaven's Gate. Après les pornographes et les pédophiles, les sectes constitueraient, à les entendre, le nouveau péril du cyberespace.

La perle est sans doute ce témoignage tiré d'un reportage de l'Agence France-Presse, repris dans la presse québécoise: "ceux qui passent leur temps à surfer sur Internet finissent par perdre contact avec la réalité".

Que le Net soit un canal de communication tombé du ciel -sans jeu de mots- pour des gens avides de répandre leur» vérité, c'est indéniable -un fait qui avait été souligné dans cette même chronique (La Presse, 22 et 29 janvier). Mais que le Net soit responsable du "départ" des 39 vers l'OVNI censé accompagner la comète Hale-Bopp, c'est un peu gros.

Car si l'information sur ce soi-disant OVNI était abondamment relayée par le réseau informatique, l'autre information, celle qui aurait pu servir à contrer ces croyances irrationnelles, l'était tout autant: depuis sa découverte en juillet 1995 par les astronomes américains Alan Hale et Thomas Bopp, la comète a été photographiée sous toutes les coutures, et le site de la Nasa, entre autres, propose une quantité industrielle de clichés; les analyses de la composition chimique de la comète (passée, le 22 mars, à son point le plus rapproché de la Terre) ont permis de conclure que, eh bien oui, c'est une banale comète, tout à fait semblable aux autres -une "boule de neige sale", comme disent les astronomes.

Bref, si les membres de la secte, grands internautes devant l'Eternel, n'ont pas appris que leur OVNI devenait de plus en plus improbable, c'est parce qu'ils ne se sont pas donnés la peine de chercher. Ou qu'ils n'ont pas voulu chercher.

Quel ovni?

Cette histoire d'OVNI, qui a passionné les médias tabloïd américains, a commencé le 14 novembre, lorsqu'un photographe de Houston, Chuck Shramek, a dévoilé une photo d'Hale-Bopp prise la veille. A côté de la comète, on pouvait voir un point blanc: un objet circulaire, apparemment traversé d'un anneau "comme Saturne", trois fois plus gros que la Terre, évaluait M. Shramek. Sans nul doute, un gigantesque vaisseau spatial accompagnant Hale-Bopp, et transportant des milliers, voire des millions d'extra-terrestres.

La théorie allait obtenir un succès fou dans un certain milieu. L'émission radiophonique "ésotérique" d'Art Bell, diffusée aux quatre coins des États-Unis, allait lui apporter un auditoire national. Avec son corollaire inévitable: la Nasa est au courant de l'existence de ce vaisseau, mais elle vous cache les preuves...

Dès la mi-novembre toutefois, les astronomes analysant la photo Shramek en arriveraient tous à la même conclusion: "l'objet" n'était rien d'autre qu'une étoile photographiée en même temps qu'Hale-Bopp, et qui apparaissait plus grosse en raison d'un effet de diffraction. Shramek avait surexposé sa photo!

Cette conclusion serait rejetée illico par Shramek et par son nouveau propagandiste, Art Bell, mais leur position deviendrait de plus en plus précaire à mesure que des milliers d'astronomes amateurs -dont des Québécois, tout de même pas tous payés par la Nasa- prendraient de plus en plus de clichés...

Et pourtant, la croyance se maintiendrait: début-mars, alors que la comète était devenue visible à l'oeil nu, des adeptes continuaient d'entretenir leurs pages web: tout au plus le mystérieux "compagnon" était-il de plus en plus... "oublié". Sur une page créée par Alan Hale pour résumer les analyses de cet OVNI, un visiteur avait laissé cette remarque: "Les auditeurs de M. Bell (comme moi!) vont continuer à le défendre, peu importe ce qui arrive, parce que nous avons confiance et que nous croyons en lui".

Une visite du site web de Chuck Shramek se révèle pourtant instructive, allait écrire Hale en janvier: à s'y promener entre ses histoires de complots à la X-Files et de visiteurs extra-terrestres, on se rend compte à quel point ce monsieur était "prédisposé à en arriver à cette conclusion sur la comète". En d'autres termes: il a vu ce qu'il voulait bien voir.

"En revanche, l'accueil spontané reçu par cette théorie m'apparaît comme un exemple choquant de l'analphabétisme scientifique", concluait Alan Hale.

Le 28 mars, au cours d'une conférence de presse donnée au lendemain du suicide collectif, l'astronome allait tristement revenir sur ce thème: cette tragédie, c'est "une autre victoire de l'ignorance et de la superstition. Combien d'autres Rancho Santa Fe avant que nous ne disions "ça suffit!"?... Avant que nous ne décidions finalement d'utiliser la chandelle de la science, et notre capacité de raisonner, pour faire reculer les ténèbres de l'ignorance et de la superstition?"

Bref, le problème semble un tantinet plus complexe que l'explication "Vilain Internet"...