Pour mon premier blogue, je pensais bien me présenter. Mais cela attendra. Ce fut la semaine des prix Nobel et il m'est impossible de ne pas en parler. Le prix Nobel représente la reconnaissance ultime pour un scientifique. Ils sont plusieurs chaque année à s'installer près du téléphone au mois d'octobre, dans l'espoir de recevoir un appel de Strockholm. Comme trois personnes seulement, au maximum, peuvent partager un prix Nobel scientifique, neuf chercheurs seulement peuvent voir leurs voeux exaucés chaque année.

L'objet de ce blogue n'est pas de discuter des manoeuvres politiques qui se jouent en coulisse, il s'agit plutôt d'une vitrine scientifique. Je vais donc présenter en quelques mots les découvertes récompensées par l'attribution des prix Nobel de chimie et de physique, cette année.

À tout seigneur, tout honneur, je commencerai par le prix Nobel de physique. Celui-ci s'inscrit dans une longue liste de prix accordés pour des découvertes dans le domaine de l'optique quantique (1966, 1981, 1989, 1997, 2001 et 2005), un domaine ouvert grâce au développement du laser par Charles Townes, Nicolay Basov et Aleksandr Prokhorov (prix Nobel 1964).

Cette année, le Nobel de physique revient à un théoricien, Roy Glauber, et à deux expérimentateurs, John Hall et Theodor Hänsch. Les deux premiers sont américains tandis que le troisième est Allemand. Un théoricien pour deux expérimentateurs, un Européen pour deux Américains, on retrouve le même patron pour le Nobel de chimie. Mais nous y reviendrons.

Les découvertes célébrées cette année ne sont pas faciles à expliquer. Même si je suis un physicien, je n'en comprends pas tous les détails et il me faudrait étudier ce domaine avec soin, ce que je n'ai malheureusement pas le temps de faire. Je peux toutefois vous en dresser les grandes lignes, me basant sur ma connaissance de la mécanique quantique et les textes d'explication fournis par la fondation Nobel.

Tout d'abord, on sait depuis les travaux d'Albert Einstein, publiés il y a 100 ans exactement, que la lumière est à la fois onde et particule. La lumière, c'est une onde électromagnétique, du même type que celles qui propagent les émissions de télévision captées par les antennes (oui, il existe encore quelques citoyens non câblés — c'est mon cas, par exemple). Ce sont aussi les ondes échangées entre les téléphones cellulaires et leur base. Ce qui différencie ces ondes électromagnétiques est leur longueur d'onde, c'est-à-dire la distance sur laquelle une oscillation se répète. Une onde radio à une longueur d'onde d'une dizaine de cm et plus, tandis que la lumière a une longueur d'un peu moins d'un micromètre ou d'un millième de mm. (Pour plus d'information, voir la rubrique longueur d'onde sur Wikipédia.) Mais les ondes électromagnétiques peuvent aussi être perçues comme composées de particules qui se déplacent à la vitesse de la lumière, les photons. Les piles solaires fonctionnent grâce à cette particularité de la lumière. Lorsqu'un photon d'énergie suffisante est capté par une cellule photo-électrique, un électron est éjecté et crée un courant électrique. Ce phénomène serait impossible si la lumière n'était qu'une onde.

Les implications de cette double personnalité de la lumière sont nombreuses. L'attribution du prix Nobel de cette année à Roy Glauber est une reconnaissance de ces contributions, faites en 1963, près de 60 ans après l'article d'Einstein, à notre compréhension de ces effets. Jusqu'alors, les phénomènes étudiés pouvaient être compris soit en considérant la lumière comme des particules, soit en la considérant comme une onde. Glauber a montré qu'on devait parfois utiliser les deux phénomènes en même temps. Ainsi, dans le cas de mesures synchrones particulières, il est nécessaire de considérer que l'état du champ électromagnétique associé à un flux de photons change lorsqu'un photon de ce flux est absorbé par un détecteur. Les travaux de Glauber permirent de mieux concevoir les conséquences de la mécanique quantique sur les phénomènes optiques. L'optique classique, un sujet moribond au début des années 1960, se mua, grâce à ces travaux, en optique quantique dont les propriétés continuent aujourd'hui à nous étonner.

Ainsi, l'optique moderne est bien loin des expériences sur les prismes. Il est maintenant possible de contrôler l'optique quantique de manière à n'envoyer qu'un photon à la fois sur un ou quelques atomes, créant ainsi des systèmes reproductibles avec une très grande précision. Ce sont de telles méthodes expérimentales qui furent développées par les deux autres corécipiendaires de grand prix.

Un spectromètre est un appareil qui permet de mesurer les différentes longueurs d'onde électromagnétique émises par un objet. Puisque la lumière émise est une signature directe des éléments chimiques contenus dans l'objet, les spectromètres sont utilisés pour toutes sortes d'analyses. Et ça ne date pas d'hier, ce sont des mesures spectrométriques de l'hydrogène qui ont permis le développement de la première théorie quantique par Niels Bohr, en 1914.

Afin d'identifier précisément les différents pics d'un spectre électromagnétique, il est important d'avoir une grande précision. Depuis, comme la fréquence identifiée par le spectromètre est une mesure directe du temps, on s'est aperçu que l'on pouvait utiliser ces appareils de grande précision comme horloge. Avec ses travaux, commençant au début des années 1970 et s'étendant sur une vingtaine d'années, Hänsch a développé des mesures de spectroscopie de l'hydrogène s'approchant des limites théoriques. Afin de parvenir à stabiliser le laser qui excite l'hydrogène, Hänsch et Hall ont dû développer des méthodes permettant de stabiliser le laser lui-même grâce à des cavités résonantes ultrastables suspendues dans le vide. Ces méthodes, couplées à ce qu'on appelle un peigne optique, permettent de mesurer la fréquence de l'intervalle 1s-2s de l'atome d'hydrogène avec une précision de 15 chiffres significatifs (2 466 061 413 187 103 /- 46 Hz), une précision équivalente aux meilleures horloges atomiques. Avec les récents développements technologiques dans le domaine, on s'attend toutefois à ce que les méthodes d'optique quantique atteignent des précisions jamais encore égalées.

Mais que peut-on gagner à continuer la course aux mesures de haute précision? Tout d'abord, ceci nous permet de définir les unités de mesure avec meilleure précision. Depuis 50 ans, le mètre, la seconde et plusieurs autres unités ont été redéfinis à partir de mesures telles que celles-ci. Une fois ces unités en place, on peut mesurer à nouveau d'autres quantités déjà connues afin de vérifier si la théorie et l'expérience concordent toujours. Tout écart ouvrant la voie à de nouvelles découvertes. Ces mesures ont aussi des applications importantes. Par exemple, la construction d'horloges plus fiables permettrait d'augmenter la précision du système de positionnement global (GPS) utilisé de nos jours afin de connaître notre position sur la Terre.

Pour plus d'information, on peut consulter le site de la Fondation Nobel, qui distribue les prix de la paix, de physique, de chimie, de physiologie et de littérature (mais pas celui d'économique, j'y reviendrai). Malheureusement, le site est surtout en anglais.

On peut aussi visiter le site de Philippe Grangier, du CNRS, en France.

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