La pollution lumineuse est le cancer de l’astronomie. Elle se traduit par un accroissement de la luminosité du ciel au-delà de sa valeur naturelle. Elle est produite par la diffusion de la lumière artificielle sur les aérosols et les molécules de l’air. Techniquement, dans un site astronomique, elle ne devrait pas dépasser 10 % de la luminosité naturelle du ciel à 45 degrés du zénith! Pourtant, il reste bien peu de sites ou cette situation s’applique encore.

En biologie, on utilise le terme photopollution pour décrire l’impact nocif de la lumière nocturne sur la faune et la flore. On commence à peine à en découvrir les effets.

Au Québec, la situation n’est pas resplendissante. Des observations par satellites montrent qu’en janvier 1997, la ville de Québec émettait autant de lumière que Paris, et la ville de Montréal autant que New York!! Même en corrigeant pour la réflexion sur la neige qui est plus importante que sur l’asphalte, chaque Québécois doit produire 2 à 3 fois plus de pollution lumineuse que les Américains ou les Européens pour en arriver à ce résultat. Même si l’électricité n’est pas chère ici, j’ai estimé qu’il nous en coûte environ 45 millions de dollars par années pour éclairer le ciel!!!

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Pourtant, la pollution lumineuse est facile à contrôler. D’une part, contrairement à d’autres formes de pollution, il n’y a pas de persistance dans l’environnement, le problème disparaissant littéralement à la vitesse de la lumière une fois sa source coupée. D’autre part, le gros de la pollution lumineuse provient de système d’éclairage mal conçu. Trop intenses et mal dirigés, ils sont éblouissants et peu efficaces. Fait à noter, si le niveau d’éclairage est adéquat, c’est surtout la lumière dirigée directement vers le ciel qui pollue le plus. La lumière réfléchie par le sol n’est en général pas très polluante, car les surfaces sont généralement foncées et le l’atmosphère très transparente vers le zénith.

En effet, le problème de la pollution lumineuse n’est pas tant un problème de lumière qui monte que celui de la lumière qui redescend. Or, il est facile de montrer que la probabilité que la lumière soit rediffusée vers le bas est beaucoup plus grande près de l’horizon qu’au zénith. Ce n’est que pour les sources à moins de 5 km que la pollution lumineuse est causée principalement par les réflexions sur le sol. Au-delà, c’est la lumière émise à moins de 10 degrés de l’horizon qui domine. Au total, la lumière émise près de l’horizon pollue 2,7 fois plus que la lumière diffusée par le sol! Cela implique qu’une augmentation de 1% de la lumière émise près de l’horizon augmente la pollution lumineuse de 25%! C’est pourquoi, les astronomes recommandent généralement d’utiliser des lampadaires qui ne laissent échapper pas plus de 1% ou 2% de la lumière au dessus de l’horizon et qu’il faut que les zones de protection soient étendues pour être efficaces.. De plus, la lumière bleue diffuse beaucoup plus efficacement que la lumière verte alors que le ciel est à son plus noir dans le bleu. Un photon bleu pollue donc 2,3 fois plus qu’un photon vert!

Avec des systèmes d’éclairage bien conçus, on peut réduire la pollution lumineuse de 80-90% et espérer des économies d’énergie de 20 à 30% avant même d’avoir réduit le niveau d’éclairage. Si on ramène l’éclairage à un niveau adéquat et si l’on contrôle l’éclairage afin de ne pas laisser des lampes allumées pour rien, le gain est encore plus considérable.

Un éclairage peu polluant est donc moins éblouissant (qui est un problème grandissant avec une population de chauffeurs vieillissants), réduit la confusion, réduit les intrusions de lumière (sources d’insomnie pour de nombreux citoyens) et est plus économique. De plus, contrairement à la croyance populaire, il n’y a pas de lien direct entre l’éclairage et la criminalité.

En plus des astronomes, la pollution lumineuse génère des impacts négatifs sur la faune. De toutes les espèces animales, ce sont chez les oiseaux que les effets de la photopollution ont été les plus étudiés. Le principal effet de l’éclairage nocturne sur les oiseaux est de les désorienter et de les piéger. Les oiseaux ainsi affectés sont susceptibles de percuter des structures élevées. Il semble que l’éclairage artificiel soit impliqué dans près de 95% des cas de collisions. Dans les zones de nidification des tortues de mer, la présence d’éclairage met en péril la survie de l’espèce. L’éclairage artificiel désoriente les nouveaux nés qui se dirigent vers l’intérieur des terres, plutôt que de rejoindre la mer. Les insectes, quant à eux, réagissent fortement à l’éclairage. Selon les espèces, ils sont attirés ou repoussés par la lumière. Chez l’humain, la lumière nocturne inhibe la production de mélatonine, ce qui perturbe aussi la qualité du sommeil et réduit les défenses immunitaires.

Dans ces conditions, la création d’une réserve de ciel étoilé au mont Mégantic représente un pas décisif. Ce projet mené par l’Astrolab, le parc du Mont Mégantic, la SÉPAQ et l’Observatoire du mont Mégantic a pour objectif de réduire la pollution lumineuse de moitié. J’ai proposé ce concept pour la première fois en 1993, alors que je revenais d’un stage à Hawaii. Le contraste entre le ciel noir d’Hawaii et le ciel pollué du Québec m’avait choqué au point où j’en ai fait le sujet de ma présentation à la réunion des utilisateurs de l’observatoire du mont Mégantic.

Pour se faire, dans les MRC du Granit et du Haut Saint-François ainsi qu’à la ville de Sherbrooke, un règlement régira les systèmes d’éclairage ce qui permettra de réduire la croissance de la pollution lumineuse. Ce qui donnera une zone de protection d’une cinquantaine de kilomètres de rayon. Toutefois, l’objectif réel est beaucoup plus ambitieux : financer le remplacement tous les systèmes d’éclairages dans un rayon de 25 km de l’observatoire. Ce remplacement permettra de réduire la consommation d’énergie de 40% et la production de pollution lumineuse de plus de 80%. Il s’agit là d’une des actions les plus agressives jamais prises afin de réduire la pollution lumineuse. Si tout ce passe comme prévu, les premiers remplacements de lampadaires devraient se produite cet automne.

Simultanément, l’évolution de pollution lumineuse sera étudiée par un instrument développé par le groupe de recherche et d'applications en physique au Collège de Sherbrooke (GRAPHYCS). Cet instrument et le modèle mathématique permettant d’analyser ses mesures sont parmi les plus avancés au monde. Ils permettront de documenter en détail l’impact des mesures mises en place.

Ailleurs au Québec, la situation progresse rapidement. Suite aux efforts du Comité Ciel Noir de la Fédération des Astronomes amateurs de Québec, la réduction de la pollution lumineuse fait désormais partie des préoccupations de plusieurs intervenants. Par exemple, la charte sur le patrimoine paysager Estrien traite le ciel étoilé comme partie du paysage à préserver. La Ville de Lac-Mégantic a adopté une politique familiale dont l'une des actions est la sensibilisation des familles à la pollution lumineuse. Le site du MENVQ vient d'ajouter une section destinée aux jeunes sur la pollution lumineuse. Les arrondissements de Montréal ont l'obligation d'adopter des dispositions réglementaires assurant un contrôle de la pollution lumineuse sur leur territoire. La Communauté Métropolitaine de Québec, la Ville de Québec et la Commission de la Capitale Nationale ont pour objectif de minimiser la pollution lumineuse. Pour la première fois, les astronomes ne sont plus seuls. Maintenant, d’autres groupes les appuient comme les groupes écologistes en certains partis politiques.

La réserve de ciel étoilé de Mégantic risque bientôt d’avoir de la compagnie. Certaines discussions sont en cours afin d’établir une zone de protection autour de l’observatoire du mont Cosmos à Saint-Elzéar en Beauce, ainsi qu’aux environs de la station Aster à Saint-Louis-du-HaHa. Déjà, le ministère des Transports est à établir une politique en ce sens.

La situation va maintenant dans la bonne direction, il s’agit de ne pas de décourager.

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