Le sommaire offre des aperçus fascinants sur les diverses mutations (!) du mutant. En effet, philosophes, biologistes, spécialistes de la science-fiction et de la cyberculture décryptent l'arrivée de cette figure symptomatique du monde contemporain. Craints au Moyen-âge, étudiés et admirés lors de la Renaissance, les monstres ont amusé les collectionneurs du XVIIIe siècle. Cependant, ce n'est qu'au XIXe siècle que la tératologie tenta une étude scientifique de ces “ freaks ”. Le XXe siècle, quant à lui, marque l'apparition du mutant, et ce, dans tous les domaines, de la biologie et la sélection naturelle jusqu'aux héros de bandes dessinées et de l'homme de demain en passant par les fantasmes de transformation corporelle de Cronenberg.
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La mutation, mécanisme essentiel de l'évolution, est donc un facteur important dans le développement du vivant. Plus près de nous, cependant, elle pose la question de notre identité fondamentale et de notre humanité. Qu'est-ce qu'un être humain ? L'homme-éléphant, du film de David Lynch est-il moins humain que nous à cause de ses déficiences physiques ? Ou justement l'est-il d'autant plus que sa condition pathétique force la pitié et la compassion ?
Mais si le mutant s'avérait supérieur à l'être humain normal, comme dans les films des X-Men, dont la dernière incarnation est sur nos écrans en ce moment, aurions-nous la même empathie pour lui ? Ferait-il toujours partie de l'espèce humaine ? À l'orée d'un siècle qui verra la maîtrise du génome humain et la naissance d'une post-humanité, quelle sera notre attitude vis-à-vis de ces mutants humains ? Si le futur est garant du passé, on ne peut qu'être sceptique devant nos capacités d'acceptation. Le XXe siècle a vu tout à la fois, l'apogée des idéologies raciales et les génocides à grande échelle. Et malgré le recul des inégalités raciales en Afrique du Sud et aux Etats-Unis, avec la fin de l'apartheid et de la ségrégation, les guerres ethniques et le réveil des intolérances religieuses signalent que le combat pour le respect de celui qui est différent est toujours à recommencer.
Considérerons-nous ces futurs mutants comme des ennemis ou des frères ? La notion d'espèce biologique sur laquelle repose la mutation est-elle liée à ce que l'on appelait autrefois la nature humaine ? Cette nature humaine a-t-elle donc toujours une réalité à une époque où la culture tend à dominer la nature, où les idéologies tentent de rebâtir l'homme des valeurs anti-humanistes, quand elles ne sont pas simplement inhumaines, où les utopies politiques et technoscientifiques nous promettent la concrétisation de nos désirs en autant que nous acceptions de supprimer nos singularités.
Le mutant est une figure de l'Altérité, d'un autre nous-mêmes, à la fois pareil et différent, un miroir de chair qui nous renvoie nos peurs et nos espérances. Sans doute, exerce-t-il une fascination macabre à cause des images qui nous ont été légué par l'âge atomique, des irradiés d'Hiroshima et de Tchernobyl aux monstres des films des années 1950, nés des retombées des essais nucléaires. Plus récemment, les pandémies de VIH/sida et de grippe aviaire ainsi que la propagation des bacilles résistants aux antibiotiques ont fait naitre la peur de l'ennemi intérieur, de notre propre destruction autoprogrammée (pensons à des films comme La mouche, Frissons et Rage de Cronenberg, Alien, La Chose, ainsi que le récent Slither).
Mais si la mutation est synonyme de danger et de corruption de notre nature profonde, elle peut aussi se révéler une salvation attendue. En effet, le développement humain se scande par des changements biologiques, tels que la puberté et la ménopause, qui sont autant de réelles mutations. Le mutant constitue peut-être le papillon dont l'humain n'est que la chrysalide. En ce sens, il pointe la voie vers ce qu'il y a de meilleur en nous, il matérialise nos potentialités et apparaît comme l'ange de notre devenir. Mutatis mutandis, bien entendu.