Une étude du National Center for Education Statistics du gouvernement américain estimait qu’il y aurait eu aux États-Unis, en 2003, 1, 1 million d’enfants pratiquant l’éducation à domicile (ou : homeschooling)!

C’est beaucoup de monde; d’autant que la même étude rapportait que cette pratique était en forte hausse — on avait estimé en 1999 qu’il n’y avait que 850 000 enfants qui étaient éduqués à la maison.

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Qu’est-ce qui peut motiver des parents à ainsi retirer leur enfant du système scolaire afin de les instruire à la maison, parfois à grands frais? Les raisons sont multiples, mais environ un tiers d’entre les parents interrogés répondent que c’est pour des raisons qui relèvent de «l’éducation religieuse ou morale».

On l’aura deviné : c’est précisément ici que la question de l’éducation à domicile rejoint celle de l’éducation scientifique. Elle y a des effets profondément inquiétants sur lesquels se penche cette semaine un fort intéressant article d’Amanda Gefter paru dans le New Scientist.

On y apprend comment la faction chrétienne du mouvement d’éducation à domicile, continuant le combat amorcé dans les années 20 du XXème siècle, poursuit cette logue croisade anti-évolutionniste américaine dont le récent procès autour du Dessein Intelligent a été la plus récente manifestation.

Ce sont là de sujets sur lesquels l’actualité me donnera certainement l’occasion de revenir; pour le moment, je voudrais rappeler quelques troublants éléments d’information fournis par Gefter.

Devant leurs insuccès juridiques à obtenir du système scolaire l’enseignement des idées créationnistes, certains des partisans de ces thèses se sont donc rabattus sur l’éducation à domicile, avec la ferme intention d’enseigner à leurs enfants la biologie créationniste (selon laquelle Dieu a créé la Terre il y a 6 000 ans …) et les conceptions scientifiques peu orthodoxes, voire délirantes qu’elles engendrent.

S’est alors mise en place une machine de production de matériel pédagogique et de manuels éducatifs destinés à combler les besoins de cette importante clientèle. Dans le même temps, se déploie également un immense et puissant arsenal juridique et politique visant à faire triompher les doctrines créationnistes dans l’espace public et à assurer le recul des positions scientifiques et de leur inacceptable matérialisme.

Les répercussions de tout cela sont nombreuses.

Sur le plan pédagogique, d’abord, où il faut craindre que l’on se retrouve, dans bien des cas, devant des cas flagrants d’endoctrinement d’enfants.

Sur le plan de la science et de son enseignement, ensuite, où on doit craindre un recul très marqué de la compétence scientifique des jeunes concernés, forcés d’étudier une géologie, une astronomie, une chimie, une biologie et ainsi de suite qui soient rendus conformes aux idées créationnistes.

Mais, à lire Gefter, c’est peut-être sur le plan politique que ce qui se joue ici est au total le plus préoccupant.

Le mouvement, riche et influent, ouvre en effet désormais des collèges, où il forme une élite avec l’intention bien arrêtée de la préparer à occuper des postes d’influence et de décision. Il y parvient, semble-t-il, remarquablement bien. Gefter donne en exemple le Patrick Henry College, fondé en Virginie en 2000.

Il n’a peut-être que quelque 240 étudiants; mais, en 2004, 7 des 100 internes à la Maison-Blanche étaient passé par cette toute jeune institution. Parvenus à ce sommet, ces jeunes peuvent faire valoir les conceptions qu’on leur a inculquées et faire avancer les politiques qu’elles commandent.

Lequelles? Possiblement celles-ci, que rapporte la journaliste : l’homosexualité réduit substantiellement l’espérance de vie; elle augmente encore, toujours substantiellement, le risque de contracter un cancer du sein; le Grand Canyon a été formé très rapidement, durant le déluge, et c’est à ce moment que tous les sédiments qu’on découvre sus ses parois ont été déposés.

Il y a plus terrifiant encore. Dans un passage portant sur les changements climatiques, un ouvrage destiné aux homeschoolers intitulé Science Order and Reality explique que c’est en raison de leur préconception selon laquelle l’univers est le produit du hasard que la plupart de scientifiques sont enclin à envisager des changements catastrophiques sur la Terre. Mais un Chrétien sait bien que le Plan Divin a tout prévu et ne s’inquiète donc pas…

Un autre ouvrage, Science of the Physical Creation, est plus catégorique : «Toutes les preuves scientifiques assemblées indiquent qu’il n’y a pas de risque de désastre lié au réchauffement planétaire.»

Quand on pense à l’importance que prennent déjà, ces années-ci, les conceptions religieuses dans la définition des politiques intérieures et extérieures des Etats-Unis (1) et quand on imagine ce qu’elles pourraient être avec la montée en puissance de ces créationnistes éduquées à la maison puis dans leurs propres collèges et universités, on en peut s’empêcher de frémir un peu. Et de se dire qu’il y a, ici encore, un important travail d’éducation à faire pour lequel la contribution de tous, mais tout particulièrement des biologistes, est indispensable.

(1) Je renvoie ici au passionnant mais très troublant article de Gary Wills : A Country Ruled by Faith, New York Review of Books, Volume 53, Number 18, November 16, 2006. Dans quelques semaines, il ne sera vraisemblablement plus accessible.

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