Le Conseil de la recherche en sciences naturelles et en génie du Canada (CRSNG) a récemment attribué le premier Prix John-C.-Polanyi à l'équipe de chercheurs de l'observatoire de neutrinos de Sudbury (ONS - Sudbury Neutrino Observatory: SNO). Ce prix, d'une valeur de $250,000, est décerné pour souligner une percée remarquable réalisée récemment au Canada en sciences naturelles ou en génie.

L'attribution de ce prix est une belle occasion de rappeler brièvement la contribution de ce "télescope" pas comme les autres à notre compréhension de la physique fondamentale, de la physique du Soleil, et de la physique de l'Univers.

La matière qui nous entoure, tant sur Terre qu'aux confins du cosmos, est constituée de particules élémentaires qui s'assemblent pour former les atomes et les molécules. Étonnament, ces particules sont peu nombreuses. On y retrouve entres autres des quarks qui s'assemblent pour former les protons et les neutrons, et des électrons. Ces particules sont électriquement chargées et, en plus, interagissent les unes avec les autres ou avec la lumière. Dans la pluplart des cas elles sont donc relativement (enfin presque...) faciles à détecter et à étudier.

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Dans le bestiaire des particules élémentaires, il en existe une qui se distingue des autres: le neutrino. Comme son nom l'indique, il ne possède pas de charge électrique. De plus, cette particule vient en "trois saveurs" (un peu comme la crème glacée napolitaine!) : neutrino électronique, neutrino muonique, et neutrino tau. Les propriétés physiques des neutrinos font en sorte que celui-ci interagit très peu avec d'autres neutrinos ou toute autre particule de matière ou de lumière. En fait, l'interaction est si faible, que près de la moitié des neutrinos d'un faisceau pourrait traverser un bloc de plomb d'une année-lumière d'épaisseur...! Cette propriété rend l'étude des neutrinos extrêmement difficile. Ainsi, jusqu'à tout récemment on ignorait même si les neutrinos avaient une masse ou non.

Dans un contexte astronomique, les neutrinos ont été et sont produits par des réactions nucléaires explosives lors du Big Bang et dans les supernova ou, paisiblement, au coeur des étoiles tout au long de leur vie. Ainsi, les réactions nucléaires de fusion qui transmutent l'hydrogène en hélium au centre du Soleil libèrent des quantités "astronomiques" de neutrinos.

Contrairement aux photons énergétiques (générés par les mêmes réactions nucléaires) qui "migrent" lentement du coeur à la surface du Soleil - les photons prennent plusieurs centaines de milliers d'années avant d'atteindre la surface de notre étoile - les neutrinos mettent environ 2 secondes pour traverser le Soleil et un peu plus de 8 minutes pour atteindre la Terre.

En principe, un détecteur capable d'observer le flux de neutrinos solaires permettrait de "voir" quasi-instantannément ce qui se passe au centre du Soleil. Le concept du télescope à neutrinos est donc très prometteur. Cependant, sa mise en application s'avère beaucoup plus compliquée.

Le premier grand télescope à neutrinos est celui de Raymond Davis (Nobel de physique en 2002). Contrairement aux télescopes conventionnels, les télescopes à neutrinos sont situés à quelques kilomètres sous terre afin de les protéger des rayons cosmiques. Puisque les neutrinos interagissent peu avec la matière, ils traversent sans problème la croûte terrestre avant d'atteindre le détecteur. Celui de Davis est installé au fond de la mine d'or désaffectée de Homestake dans le Dakota du sud.

Il s'agit d'un

réservoir contenant 400,000 litres de tétrachlorure de carbone - un solvant utilisé jadis pour le nettoyage à sec des vêtements. À chaque semaine, quelques-uns des 100 milliards de neutrinos/cm² qui atteignent le réservoir transmutent des atomes de chlore en atomes d'argon. Au bout de quelques semaines, le réservoir contient quelques dizaines d'atomes d'argon qu'il suffit de retrouver... La proverbiale "aiguille dans une botte de foin" est, de toute évidence, nettement plus facile a retrouver que ces quelques atomes d'argon. Néanmoins, l'expérience est bien rôdée et fonctionne à merveille de manière continue depuis 1970.

Les deux principaux résultats de cette expérience sont 1) la confirmation que des neutrinos proviennent du Soleil, et 2) la mise en évidence d'un écart entre le nombre prévu de détections (basés sur les taux de réactions nucléaires au centre du Soleil) et le nombre mesuré dans le détecteur. Cet écart - on observe 33% des neutrinos prévus - est connu sous le nom de "déficit des neutrinos solaires". L'expérience de Davis a été "clonée" ailleurs dans le monde avec des matériaux différents tel le gallium. Toutes ces autres expériences ont confirmé que le déficit est bien réel.

Depuis près de 30 ans, plusieurs hypothèses, allant du ralentissement des réactions nucléaires au centre du Soleil jusqu'à l'oscillation des neutrinos, ont été proposées pour expliquer les résultats expérimentaux. Au fil du temps, cette dernière est devenue la plus plausible. Selon cette hypothèse, les neutrinos oscillent d'une "saveur" à l'autre (électronique, muonique, tau) en se déplaçant. Ainsi, un neutrino électronique produit par une réaction nucléaire au centre du Soleil, devient un neutrino muonique, puis un neutrino tau, puis à nouveau un neutrino électronique, etc. À son arrivée sur Terre, il a donc une chance sur trois (33%) d'être encore un neutrino électronique au moment de sa capture dans le détecteur.

La première génération de télescope à neutrinos (celle au tétrachlorure de carbone ou au gallium) ne permettait pas de tester l'hypothèse des oscillations. Ces premiers détecteurs ne peuvent observer qu'une seule saveur de neutrino (les neutrinos électroniques) et ne mesurent pas le flux en "temps réel" mais plutôt l'accumulation des détections sur plusieurs semaines. Il fallait un télescope amélioré pour poursuivre les recherches. C'est ici que l'ONS entre en jeu.

Le principe du nouveau télescope s'apparente à l'ancien: un grand réservoir souterrain contenant un liquide permettant la capture des neutrinos. Cependant, dans ce cas, le réservoir est conçu en acrylique transparent entouré de milliers de capteurs photoélectriques. Le réservoir contient de l'eau d'une grande pureté. Lorsqu'un neutrino interagit avec le liquide, un bref éclair Cherenkov se produit. Les capteurs enregistrent la direction et l'intensité du flash instantannément. On obtient donc une mesure du flux de neutrinos en temps réel.

Parmi les télescopes à neutrinos de seconde génération construits dans le monde celui l'ONS se distingue par la nature du liquide. Plutôt que d'utiliser de l'eau pure "ordinaire", comme dans le réservoir du SuperKamiokande au Japon, l'expérience canadienne tire profit d'un "trésor canadien", la réserve d'eau lourde de l'EACL (Énergie atomique du Canada limitée) utilisée pour les réacteurs atomique Candu. Cette particularité augmente l'efficacité du télescope à détecter des neutrinos. De plus, en mélangeant des sels (comme le chlorure de sodium) à l'eau lourde, le détecteur peut distinguer les trois sortes de neutrinos.

Le télescope de l'ONS est construit dans une caverne souterraine reliée à une mine de nickel de l'INCO à Sudbury en Ontario. Cette mine est encore en exploitation. Le projet est une collaboration internationale impliquant les États-Unis et le Royaume-Uni. La construction s'est étalée sur huit années, de 1990 à 1998. Le coût des infrastructures est de 100 millions de dollars; celui de l'eau lourde - un prêt de l'EACL - environ 330 millions de dollars !

La phase expérimentale a débuté en 1999. À la fin de la période initiale d'expérimentation, d'une durée de 3 ans, les chercheurs ont confirmé de manière spectaculaire l'hypothèse de la métamorphose des neutrinos par le biais des oscillations. De plus, cette découverte a permi une des premières mesures de la masse des neutrinos.

Le prix Polanyi souligne donc l'impact de ce résultat non seulement sur les modèles du Soleil, mais aussi dans le domaine de la cosmologie puisque les neutrinos contribuent au bilan de la matière qui remplit l'Univers, ainsi qu'à la compréhension de la physique fondamentale des particules élémentaires.

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