L''intelligence, telle que mesurée par le QI, est le facteur déterminant de la santé et de la longévité. C’est elle qui explique principalement les écarts entre pays riches et pays pauvres. Quant à des facteurs comme la pauvreté, le manque d'eau potable, de soins de santé, d'éducation et ainsi de suite, ils ne contribuent guère à l’accroissement de la santé ou de la longévité. La thèse vous choque? Attendez, ce n'est pas fini. Cette thèse serait encore étayée par le fait que le QI moyen, en Éthiopie, serait de 63, soit le plus faible au monde et que dans ce pays l'espérance de vie tourne autour de 45 ans.

Ces idées ont été avancées par le professeur Satoshi Kanazawa, de la prestigieuse LSE, la London School of Economics and Political Science .

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M. Kanazawa travaille notamment en psychologie évolutionnniste, un secteur de recherche relativement nouveau, mais aussi controversé et qui fait l'objet d'appréciations très contrastées: les uns y voient une entreprise indispensable et prometteuse, les autres émettent des réserves, parfois profondes et sérieuses, des objections qui sont à la fois scientifiques, méthodologiques et éthiques.

Il faut dire que le domaine est particulièrement propice à susciter des controverses, puisque la psychologie évolutionniste, au carrefour de la théorie de l'évolution et de la psychologie cognitive, se propose de rendre compte de la nature humaine. Il en résulte, on le devine, de nombreux débats, souvent âpres mais aussi passionnants. C’est au coeur de ces débats que nous plonge justement la controverse engendrée par l'article de Kanazawa.

Tout commence par un article intitulé: Mind the gap…in intelligence: Re-examining the relationship between inequality and health que Kanazawa vient de faire paraître dans une revue que je ne connaissais pas mais qui semble sérieuse (British Journal of Health Psychology, Volume 11, Numéror 4, Novembre 2006, pp. 623-642(20)).

Voici, pour votre information et traduit par mes soins, le résumé de cet article:

Wilkinson assure que les inégalités économiques réduisent la santé et l'espérance de vie de l'ensemble de la population, mais un tel argument n'est pas compatible avec son propre cadre théorique évolutionniste. De récents développements théoriques de la psychologie évolutionniste suggèrent que le cerveau humain, adapté à son environnement ancestral, a de la difficulté à comprendre et à manier des entités et des situations qui n'existaient pas dans cet environnent ancestral et que l'intelligence générale a évolué comme adaptation spécialisée afin de résoudre des problèmes particuliers. Dès lors, puisque la plupart des menaces à la santé dans les sociétés contemporaines sont inédites du point de vue évolutif, il s'ensuit que les individus les plus intelligents sont mieux en mesure de reconnaître et de résoudre ces dangers et donc vivent plus longtemps. Conformément à cette théorie, des macroanalyses effectuées dans 126 pays montrent que les inégalités de revenu et le développement économique n'ont pas d'effet sur l'espérance de vie à la naissance, sur la mortalité — infantile ou par groupes d’âge — après qu'ait été pris en compte le Quotient Intellectuel (QI). Ces macroanalyses montrent en outre que le QI moyen a un important et significatif effet sur la santé de la population, mais pas dans le contexte, bien connu du point de vue évolutionniste, de l'Afrique sub-saharienne. Au niveau local, les données de la General Social Survey montrent qu'alors que le revenu et l'intelligence ont tous deux des effets positifs sur les estimations personnelles de l'état de santé, l'intelligence a un effet plus grand que le revenu. Toutes ces données suggèrent que les individus des sociétés plus riches et plus égalitaires vivent plus longtemps et sont plus en santé non parce qu'elles sont plus riches ou plus égalitaires, mais pace qu'ils sont plus intelligents.

Le caractère explosif de ces idées n'aura échappé à personne et on aura deviné que les spectres du racisme, du réductionnisme biologique et de l'eugénisme ont aussitôt été brandis. S'ouvrent alors quantité de débats, au carrefour de la science et de l'idéologie, des débats difficiles mais aussi incontournables puisque le concept de nature humaine commence à peine à être assimilé par les sciences sociales.(On lira à ce sujet le beau livre de Stephen Pinker: The Blank State)

Mais si j'ai évoqué ici cette controverse, ce n'est pas pour discuter de ces questions, mais pour attirer l'attention sur une pétition qui circule en ce moment sur Internet. Elle me rend mal à l'aise, tout à la fois parce qu'elle procède d'un argumentaire faible, d'un refus du débat et d'un potentiellement bien dangereuse position sur la liberté académique.

La pétition rappelle d'abord que l'article de Kanazawa «pourrait être interprété de manière raciste»: certes, mais comment évaluer le fait qu'il pourrait l'être .

On ajoute ensuite que l'article «prétend montrer que des espérances de vie réduites et des taux plus élevés de mortalité infantile dans les pays moins développés sont le résultat de niveaux moins élevés d'intelligence plutôt que d'inégalités économiques». Mais cela, ou l'article le montre ou il ne le montre pas : et ce sont justement des arguments qui démontreraient que cette prétention n'est pas fondée qu'il faut avancer.

Adressée à la direction de la LSE, la pétition lui demande pour finir «de réaffirmer son opposition aux positions réductionnistes ou racistes» et «de condamner la publication de toute recherche qui pourrait indûment mettre en péril la sécurité des étudiants en fournissant des munitions à ceux qui veulent promouvoir des idées racistes». On est ici, je le crains, sur la pente glissante de la limitation de la liberté académique, limitation dangereuse à proportion qu'on s'en remet à des instances politiques ou administratives pour décider de la valeur ou du caractère publiable ou non de résultats de recherche.

Il est tout à fait souhaitable et légitime de critiquer Kanazawa,. Mais il faut le faire pour et par des raisons intellectuelles (et peut-être aussi éthiques),, il faut le faire en argumentant pour défendre un point de vue.

En attendant, à mon avis, c'est une erreur grave d'en appeler purement et simplement à sa condamnation comme le fait cette pétition.

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