À l’intérieur comme à l’extérieur des États-Unis, l’administration Bush est de plus en plus ouvertement accusée de manipuler la science pour des raisons politiques, idéologiques ou religieuses.

The Union of Concerned Scientists , (L'association des savants inquiets - ou encore: préoccupés) a justement rendu public, le 11 décembre dernier, un troublant document qui dévoile et condamne un nombre réellement impressionnant de travestissements de la science à des fins politiquement et idéologiquement intéressées.

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Sous la forme amusante d'un tableau périodique de «perversions» de la science par le pouvoir politique, le document recense de très nombreux cas, survenus au cours des dernières années, où des scientifiques travaillant pour le gouvernement ont vu leur travail «manipulé, supprimé et déformé» et que «des organismes ont systématiquement limité l'accès du public et des décideurs à une information scientifique importante».

Ces «abus» sont commodément ventilés en quatre catégories — environnement; santé publique; pollution. contamination; sécurité nationale et autres — et je vous invite fortement à aller y faire un tour. Le document est signée par 10,600 scientifiques, certaines de ces signatures étant très prestigieuses — on y découvre notamment 52 Prix Nobel et près de 200 membres des National Academies of Science.

Mais il est vrai qu'il suffit d'être un tant soit peu attentif à l'actualité pour soupçonner tout cela. Le gouvernement américain ne se rebiffe-t-il pas devant l’accord de Kyoto? Qui ignore qu'appuyé par un puissant lobby industriel, il a volontiers laissé entendre que le réchauffement planétaire n’est peut-être qu’une illusion. Sa position dans le dossier des cellules souches est elle aussi bien connue. Et chacun sait que ne reculant devant aucune bêtise, il ouvre la porte des écoles à l’enseignement de l’ Intelligent Design à côté de la théorie de l’évolution — tout en prônant l’abstinence en guise d’éducation sexuelle.

Qui ignore encore, aujourd'hui, qu'il adopte sur l’environnement des politiques qui tenent à être massivement dictées par les intérêts économiques de ses lobbies : c’est ainsi qu’il réforme l’Endangered Species Act; qu’il donne suite à un projet de centre de stockage des déchets nucléaires sur le site de Yucca Mountain; et qu’il assouplit les politiques sur l’eau ainsi que sur les niveaux d’arsenic et de dioxyde de carbone qu’on peut émettre.

Devant tout cela, les mots du regretté Carl Sagan reviennent irrésistiblement en mémoire: «Je sais que les conséquences de l'illettrisme scientifique sont beaucoup plus dramatiques à notre époque qu'à n'importe quelle autre période précédente. Le citoyen ordinaire qui ignore ce que sont, disons, le réchauffement planétaire, l'appauvrissement de la couche ozone , la pollution de l'air, les déchets toxiques et radioactifs, [...] la déforestation tropicale, la croissance exponentielle de la population, le fait à ses risques et périls. Comment peut-on influencer les politiques publiques — ou simplement prendre des décisions éclairées dasn nos vies — si nous ne comprenons même pas les problèmes et les enjeux qui se posent. À l'évidence , on ne peut revenir en arrière et la science est avec nous pour de bon. Nous devons donc en tirer au mieux notre parti.»

Pour ce faire, Sagan misait sur l'éducation et c'est, je pense, le bon choix. C'est que l’information scientifique ne peut avoir de poids politique significatif que si elle n’est pas relayée vers le public et comprise par lui. Ce qui suppose des médias qui diffusent un information scientifique crédible et des citoyens éduqués à la science, suffisamment pour comprendre cette information et en discuter.

On doit faire donc en sorte que la majorité des gens aient une culture scientifique qui leur permette de naviguer parmi ce qui se dit de la science dans les médias, et aussi entre les proclamations de pseudo sciences, des charlatans de tout poil, des scientifiques aux ordres de l’industrie et ainsi de suite. On est loin du compte.

Considérez par exemple les citoyens américains. On estimait au recensement de 2000 qu’il y avait dans ce pays 222 millions de personnes de 15 ans et plus; le National Science Board estimait quant à lui (en 1996) que 95% des américains de 15 ans et plus étaient, en science, des illettrés (scientifically illiterate). Ce sont là sans doute des estimés à prendre avec des pincettes et portant sur des concepts dont on pourrait longtemps débattre; mais ils indiquent une tendance lourde que personne ne conteste sérieusement et qui se vérifie à l’échelle planétaire.

La solution passe nécessairement par une éducation scientifique. Mais il faut être clair sur ce qu’elle doit être, afin de ne pas se tromper sur ce qu’on peut en espérer. Vaste question. Permettez-moi de donner mon grain de sel sur le sujet.

Ce que je privilégierais n’a d’abord rien à voir avec l’augmentation du nombre de jeunes qui choisissent d’étudier en sciences à l’université et donc rien à voir non plus avec l’objectif d’augmenter le nombre de scientifiques : il s’agit plutôt d’atteindre un massif accroissement qualitatif d’une éducation scientifique dispensée au plus grand nombre possible de gens — je soutiens que cette éducation, telle que je la conçois, est accessible à tout le monde.

Cette éducation scientifique, dans mon esprit, est encore distincte de l’éducation technologique — celle qui nous prépare à utiliser les technologies dans nos vies privées et au travail.

Ce qu’on devrait y viser, c’est crucialement la compréhension des principes et des méthodes de la science, plus que (mais sans négliger) son vocabulaire spécialisé, les faits et théories scientifiques voire, avec ceux et celles qui peuvent suivre, les formules mathématiques. Chacun, sortant de l’école, devrait savoir ce qui caractérise la science comme méthode, ne rien ignorer de ses principes et avoir fait un tour au moins qualitatif des principaux résultats des différentes sciences. Un exemple? En physique, chacun de nous devrait avoir des notions d’astronomie, connaître et comprendre les lois de Newton, la gravitation universelle, l’énergie, les lois de la thermodynamique, l’entropie, l’électricité et l’électromagnétisme, la relativité, l’atome et posséder quelques notions de physique quantique — j’oublie peut-être un truc ou deux…

Cette éducation devrait se concentrer sur les «grandes sciences» et donc introduire à la physique, à l’astronomie, à la chimie, aux sciences de la terre et à la biologie (incluant l’écologie scientifique).

Elle devrait finalement présenter la science comme une aventure intellectuelle, exaltante et exemplaire, mais aussi comme une aventure humaine et pour cela inscrire fortement la science dans ses contextes sociaux et historiques.

Je ne pense pas me tromper en disant qu’il y a une certaine urgence. Et le jour où des hordes de chasseurs-cueilleurs tenteraient de survivre dans le désert des Laurentides, il sera sans doute un peu tard…

Je donne