The God Delusion , le dernier livre de Richard Dawkins, pas encore traduit en français, fait un malheur.
Voici le long commentaire que j'en ai fait paraître dans Cité Laïque .

PLAIDOYER POUR L’ATHÉISME

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[DAWKINS, Richard, The God Delusion, Houghton Mifflin, New York, 2006, 416 pages.]

Paru à l’automne 2006, le dernier opus de Richard Dawkins s’intitule : The God Delusion — ce qu’on peut traduire par : Dieu comme délire . C’est un livre merveilleusement écrit, informatif, percutant et qui ne recule ni devant les questions difficiles, ni devant les sujets polémiques.

Dawkins entend montrer que la foi religieuse est un délire, au sens où elle est une fausse croyance qui persiste malgré la prévalence de fortes et convaincantes données qui la contredisent. Tous les humanistes, les sceptiques, les rationalistes et les libres-penseurs ajouteront avec bonheur ce livre à leur bibliothèque. Et à en juger par l’immense succès qu’il connaît au moment où je rédige ces lignes, tout semble indiquer que le lectorat de Dawkins sera bien plus vaste encore et que son livre rejoindra un large public.

On ne peut que s’en réjouir, d’autant qu’une de ses ambitions avouées, en l’écrivant, a justement été de convaincre les personnes agnostiques, dubitatives ou même croyantes des vertus de l’athéisme. Dawkins avoue un autre objectif: celui de proclamer la fierté d’être athée. «Être athée n’est pas une chose dont on devrait s’excuser, écrit-il. Bien au contraire, c’est quelque chose qui nous demande de nous tenir fermement debout face à l’horizon. C’est quelque chose dont nous pouvons être fiers puisque être athée est presque toujours le signe d’une saine indépendance d’esprit et même, au fond, d’un esprit sain» (page 3).

Le message vaut d’être affirmé et entendu au moment où, à proportion de la place grandissante prise par la religion à l’échelle planétaire dans les affaires humaines, les athées tendent à être considérés comme des parias. Et il n’est pas besoin d’aller dans ces pays où fleurit le fondamentalisme musulman ou judaïque pour le constater, comme le montre Dawkins, qui cite notamment cette sidérante déclaration de G.W. Bush, père : «Je ne suis pas prêt à dire que les athées [des États-Unis] devaient être considérés comme des citoyens ou des patriotes. Nous sommes une nation unie devant Dieu.» (page 43).

Dans les pages qui suivent, je vais d’abord brièvement rappeler le parcours de Dawkins puis proposer un survol de l’ouvrage.

Du gène égoïste à dieu comme délire

Richard Dawkins (né en 1941) est, comme on sait sans doute, un éthologiste et un éminent biologiste néo-darwinien. En 2005, en un clin d’œil à l’expression «Le bouledogue de Darwin » que l’on avait appliquée au XIXème siècle à Thomas Huxley (1825-1895), le magazine Discover a baptisé Dawkins : «Le rottweiler de Darwin». La boutade touche juste, en ce sens que Dawkins est bien un fervent défenseur du darwinisme, une théorie à laquelle il a apporté d’importantes contributions. Il s’est d’ailleurs fait connaître en 1976 par un livre aujourd’hui devenu un classique : The Selfish Gene , dans lequel il défend une conception réductionniste de l’évolution centrée les gènes. C’est dans cet ouvrage qu’il introduit le concept de mème, devenu fameux, et qui permet, sur le modèle de l’explication par les gènes, d’expliquer la propagation d’idées et plus généralement de phénomènes culturels.

On doit à Dawkins de nombreux autres ouvrages de biologie, parmi lesquels, The Blind Watchmaker, 1986 ; Climbing Mount Improbable, 1997; rééd. 2006; et Unweaving the Rainbow, 1998.

Mais Dawkins est plus que cela. Il est également un intellectuel bien connu pour ses régulières interventions dans certains grands débats de société — en particulier contre le créationnisme; un vulgarisateur scientifique réputé; et, depuis 1995, le tout premier titulaire, à l’université d’Oxford, d’une chaire vouée à faire connaître la science auprès du grand public (The Charles Simonyi Chair in the Public Understanding of Science).

Parallèlement à ces activités, Dawkins est aussi un ardent défenseur de l’humanisme, de la laïcité et, plus généralement, de la libre-pensée. Il signe notamment une percutante chronique dans le magazine Free Inquiry, l’organe du Council for Secular Humanism des Etats-Unis et il a, à de nombreuses reprises, exprimé ses convictions athées, sa passionnelle adhésion au mouvement des «Brights», ainsi que les sévères critiques et griefs qu’il formule à l’endroit de la religion. On aura compris que tous ceux et celles qui suivent ses activités se doutaient bien que Dawkins finirait un jour par publier un gros ouvrage sur ces questions. Cet ouvrage attendu, c’est justement The God Delusion.

The God Delusion

L’ouvrage se compose de dix chapitres que j’examinerai brièvement, parfois en les regroupant.

Ouverture : la religion d’Einstein et les autres

Le premier chapitre est intitulé : A deeply religious non-believer (Une non-croyant profondément religieux). La formule est d’Albert Einstien, auquel plusieurs pages de ce chapitre sont consacrées.

C’est que Dawkins veut d’entrée de jeu établir une très importante distinction conceptuelle entre d’une part la religion comme croyance en ce dieu «interventionniste, faiseur de miracles, connaissant nos moindres pensés, punissant de péchés, exauçant nos prières » (page 19) dont nous parlent la Bible et les religions révélées et, d’autre part, le dieu et la religion tels qu’Einstein et bien d’autres — notamment des scientifiques — les ont conçus. La religion einsteinienne n’est rien d’autre qu’une sorte de «sentiment océanique de la vie» très intellectualisé, que le sentiment d’une «infinie admiration pour la structure du monde telle que notre science nous la révèle» (page 15) et n’a rien à voir avec le théisme des religions. Cette distinction est importante, notamment parce que bien des prosélytes entretiennent à ce sujet une trompeuse confusion qui permet de suggérer qu’Einstein croyait en dieu et était finalement un homme religieux au sens usuel du terme. L’entretien délibéré de cette confusion, nous dit l’auteur, «est un acte haute trahison intellectuelle» (page 19) : il faut lui donner raison sur ce point capital,

Dawkins réunit donc de nombreuses citations qui ne laissent aucun doute sur le fait qu’Einstein, comme tant d’autres scientifiques ou philosophes, utilisait le mot dieu en un sens métaphorique et que sa religion et son dieu (qui ne joue pas aux dés!) n’ont rien à avoir avec les religions révélées et la religion telles qu’on les entend habituellement. Cette distinction entre religion einsteinienne et religion surnaturelle étant établie, Dawkins précise que son livre ne s’intéressera qu’à celles qui relèvent de cette dernière catégorie.

Pour clore ce chapitre, il aborde la question du traitement préférentiel dont bénéficient les religions dans nos sociétés, entre autres dans nos politiques publiques. Il suffit, semble-t-il, qu’une pratique ou une croyance reçoive ou se donne le label «religion» pour qu’on adopte à son endroit des comportements empreints de révérence et de respect qu’on ne se sentirait pas tenus d’avoir si elles étaient privées de ce label. Dawkins donne de nombreux exemples de ces inexplicables doubles standards. En voici un. «La religion reste la manière la plus facile d’obtenir le statut d’objecteur de conscience en temps de guerre. Vous aurez beau être un brillant éthicien ayant rédigé une thèse doctorale primée pour exposer les maux que cause la guerre, le comité qui examinera votre requête pour être reconnu comme objecteur de conscience vous fera passer un mauvais quart d’heure. Mais si vous dites simplement qu’un de vos deux parents (ou les deux) est Quaker, vous passerez comme du beurre à la poêle, même si vous avez du mal à vous exprimer et ne connaissez rien du pacifisme ou même du quakerisme» (page 21).

Dawkins annonce ensuite ses couleurs. Il ne s’agira pas pour lui d’offenser ou de blesser sans raison qui que ce soit; mais il n’accordera pas plus de respect aux croyances religieuses qu’il n’en accorderait à quelque autre opinion.

Ce premier chapitre se conclut sur ce mot savoureux de H.L. Mencken : «Nous devons respecter la religion de notre voisin, mais au même titre et dans la même mesure où nous devons respecter sa conviction que son épouse est fort belle et ses enfants brillants» (page 27).

Contre le théisme

Les trois chapitres suivants (The God hypothesis — L’hypothèse de dieu; Arguments for god’s existence — Les arguments en faveur de l’existence de dieu; Why there almost certainely is no god — Pourquoi, presque certainement, il n’y a pas de dieu) lancent une charge en règle contre le théisme.

En ces pages qui n’auraient pas déplu à Prévert, on trouvera d’abord cette mémorable définition du dieu de l’Ancient Testament, «un des plus déplaisants personnages de toute la littérature de fiction, jaloux et fier de l’être, c’est une brute misogyne, homophobe, raciste, infanticide, génocidaire, nuisible, mégalomaniaque, sado-masochiste, capricieuse et malveillante» (page 31).

Dawkins définit ensuite l’hypothèse de l’existence de dieu comme celle selon laquelle «il existe une intelligence surhumaine et surnaturelle qui a délibérément conçu et créé l’univers et tout ce qui s’y trouve, y compris nous» (page 31). Puis, il précise que son objectif sera de défendre l’hypothèse concurrente : «[…] toute intelligence créatrice, d’une complexité suffisante pour concevoir qui que ce soit, ne peut exister qu’au terme d’un long processus d’évolution graduelle» (ibidem).

Résolument non-sectaire Dawkins s’en prend à toutes les versions de l’hypothèse-dieu. «Je n’attaque pas une version particulière de dieu ou des dieux, écrit-il,. J’attaque dieu, tous les dieux, tout et n’importe quoi de surnaturel, quel qu’il soit et où qu’il soit, qu’il ait été mis de l’avant hier ou le sera demain» (page 36). Il passe donc en revue le polythéisme et le monothéisme avant d’aborder le déisme présumé des Pères fondateurs de la République américaine et de consacrer des pages fortes et riches d’idées nouvelles à la «pauvreté de l’agnosticisme».

Il montre ici que s’il est légitime de suspendre son jugement dans tous ces cas où les faits et les arguments disponibles ne sont pas concluants, ce n’est pas le cas à propos de l’hypothèse-dieu. Son argumentaire repose sur une distinction conceptuelle entre un agnosticisme provisoire, raisonnable, portant sur des propositions pour le moment indécidables mais que des faits et des arguments nouveaux pourraient permettre de trancher et un agnosticisme permanent et de principe, portant cette fois sur des propositions que rien ni aucun fait ne pourrait jamais permettre de trancher.

On aura compris que Dawkins soutient que l’hypothèse-dieu relève de la première catégorie, qu’elle peut raisonnablement être tenue pour tranchée et que les agnostiques commettent l’erreur de la situer dans la deuxième catégorie. Cela a pour conséquence, sur le plan rhétorique, de demander aux incroyants de justifier leur incroyance, plutôt qu’aux croyants leur croyance : ce profond déplacement de nos discussions sur l’hypothèse-dieu est lourd de conséquences.

La métaphore de la théière, qu’il reprend à Bertrand Russell, est à ce sujet fort éclairante. Soit l’hypothèse d’une minuscule théière orbitant autour du soleil et invisible à nos meilleurs télescopes. Sa négation est peut-être logiquement impossible à démontrer, mais personne ne se dirait à ce propos «agnosticothéiéristique» et tout le monde se dira athéirériste. Sauf, bien sûr, s’il s’agit d’une théière dont parlent d’anciens livres, dont l’existence est rappelée en de solonnelles cérémonies tenues tous les dimanches, déclarée sacrée, enseignée aux enfants dès le plusjeune âge, et ainsi de suite…

Dawkisn aborde notamment ensuite l’hypothèse d’un Non Overlapping Magisteria (ou NOMA, dûe au regretté Stephen Jay Gould) et les expériences de prières présumées guérisseuses.

Le chapitre suivant est consacré aux prétendues «preuves» de l’existence de dieu, abordées une à une. Celles proposées par Thomas d’Aquin, d’abord; puis l’argument ontologique et ses dérivés; l’argument par la beauté du monde; celui invoquant l’expérience personnelle; l’invocation des Écritures ou des savants éminents; le pari de Pascal. On le sait : les réfutations de tous ces arguments sont bien connues et au total ce chapitre, bien que nécessaire dans un tel ouvrage, contient moins de matériel nouveau que les autres. Les pages dont le contenu apparaîtra sans doute moins connu à bien des lecteurs sont probablement les dernières du chapitre (pages 105-109), consacrées à une récent argument utilisant le théorème de probabilités conditionnelles Bayes et mis de l’avant par Stephen Unwin.

Le dernier chapitre de cette section du livre explique pourquoi, presque certainement, il n’y a pas de dieu. C’est sans doute le chapitre le plus important, le plus riche et le plus complexe du livre. Dawkins, utilisant les ressources du darwinisme, retourne en fait ici contre ceux qui l’avancent en faveur de l’existence de dieu l’argument de l’hypercomplexité et partant, de l’improbabilité de la vie. Voici une paraphrase (d’une partie) de l’argument présenté par Dawkins.

1. Un immense et séculaire défi à l’intelligence humaine a été de rendre compte et d’expliquer l’apparition complexe et improbable de ce qui semble avoir été conçu.

2. Une réponse spontanée est d’invoquer un concepteur — un horloger pour la montre — et de poursuivre selon cette logique pour une aile, un œil, une araignée, un être humain.

3. Mais c’est un erreur puisqu’il nous faut en ce cas rendre compte du concepteur : devant le problème de rendre compte d’une improbabilité statistique, n’allons pas, pour le résoudre, postuler du plus improbable encore! Il nous faut quelque mécanisme permettant de passer graduellement et de manière plausible de la simplicité à la complexité.

4. L’évolutionnisme darwinien est le plus ingénieux et puissant de ces mécanismes.[…]

Si cet argument est valable, dit Dawkins, alors la prémisse de l’hypothèse-dieu est indéfendable et dieu, presque (logique oblige) certainement, n’existe pas.

En ce cas, la discussion doit donc à présent se porter sur la religion elle-même en en particulier sur ses sources, sa nature, ses fonctions, ses éventuels mérites, sa prévalence dans l’espace et le temps ainsi que sur l’attitude rationnelle à adopter face à elle. C’est précisément ce vers quoi se tourne Dawkins dans la suite de son ouvrage.

Aux sources de la religion

La vérité, en matière de religion, est tout simplement l’opinion qui a survécu.

Oscar Wilde

(Cité par Dawkins, page 191)

Le cinquième chapitre porte sur les sources de la religion (The roots of religion). Une des questions centrales de ce chapitre est celle-ci : si la religion est quelque chose d’irrationnel et qui conduit à adopter des pratiques et des croyances délirantes et ruineuses pour les adeptes, comment expliquer sa large prévalence? Ne faudrait-il pas penser que la sélection naturelle aurait dû, en toute logique, éliminer ces croyances?

L’hypothèse de Dawkins, qui s’inspire entre autres ici des travaux du philosophe Daniel C. Dennett et de la psychologie évolutionniste, est essentiellement que les croyances religieuses sont un sous-produit de facultés qui ont évolué pour d’autres raisons, utiles celles-là, bien entendu. Les cerveaux des enfants, fait-il remarquer, sont programmés pour croire ce que leur disent leurs parents en particuliers et les adultes en général. Cela leur permet d’accéder à un vaste répertoire d’informations utiles voire indispensables et d’y accéder sans avoir à eux-mêmes faire l’expérience de ce qu’ils apprennent. Inutile, donc de se lancer du haut de la falaise pour découvrir qu’il ne faut pas le faire. Il y a un avantage évolutif évident à cela. Mais ce système a son revers, qui est qu’il peut favoriser la transmission d’informations qui n’ont d’autre vertu que d’appartenir à une certaine tradition. On aura compris que c’est selon Dawkins le cas des croyances religieuses. Dans ce chapitre, Dawkins a également recours, en des pages lumineuses, à la notion de mème dont on se souviendra qu’il est le créateur.

Le chapitre se ferme sur l’habile évocation de ces «cargo cults», qui sont comme on sait des cultes voués aux avions dans le Pacifique (en Mélanésie et Nouvelle Guinée) donnés comme paradigme de la croyance religieuse, de sa naissance et de sa propagation.

Sur la moralité

«

La religion est une insulte à la dignité humaine. Avec ou sans elle, on aurait de bonnes personnes se comportant bien et de mauvaises personnes se comportant mal.

Mais la religion est nécessaire pour que bonnes personnes se comportent mal. »

Steven Weinberg

(Cité par R. Dawkins, p. 249)

Les trois chapitres suivants se penchent sur la moralité, ses sources, pour commencer (The roots of morality : why are we good?), puis le «livre saint» et les transformations de la moralité (The ‘good’ book and the changing moral Zeitgeist) avant de mettre en évidence ce qui est malsain dans la religion. (What is wrong with religion? Why be so hostile?).

Dawkins montre d’abord, avec une palpable délectation, que la conviction souvent réaffirmée des personnes croyantes que la moralité serait impossible sans dieu est non seulement jamais démontrée mais s’exprime souvent d’une manière bien peu morale et terriblement haineuse envers qui ne partage pas leur foi.

Mais la partie la plus éclairante ce chapitre est sans doute celle où Dawkins, dissipant équivoques et mécompréhensions entourant la notion de gène égoïste, montre la fécondité et la force de l’hypothèse de l’origine darwinienne de la moralité en invoquant d’une part un altruisme s’appliquant à nos proches (kin altruism), d’autre part un altruisme réciproque, familier à ceux qui connaissent les travaux de Robert Trivers et de Robert Axelrod. Il leur adjoint de stimulantes réflexions sur la notion de réputation (pages 218 et suivantes) envisagée d’un point de vue biologique.

Dawkins rappelle ensuite des travaux expérimentaux portant sur la moralité, travaux intéressants et que je ne connaissais pas, et qui ont été menés par le biologiste Marc Hauser : au total, ils ne trouvent aucune différence statistiquement significative entre athées et croyants dans les jugements moraux. Ce qui, rappelle Dawkins, est compatible avec l’idée que la religion n’est pas nécessaire pour agir moralement. On trouvera en outre dans ce chapitre une amusante référence à une grève des policiers de Montréal, en octobre 1969, qui montre, a contrario, que la religion n’est pas garante d’un agir moral.

Le chapitre 7 est essentiellement un attristant catalogue de pratique immorales tolérées ou prônées dans les Saintes écritures (Ancien mais aussi Nouveau Testament) qui rappelle à quel point il est heureux — et la remarque vaut aussi pour les croyants — qu’on n’y cherche pas des règles d’action à suivre rigoureusement. Un passage de ce chapitre (pages 244 et suivantes) mérite d’être rapporté avec quelques détails et en donnera la tonalité. Le psychologue George Tamarin a présenté à plus d’un millier d’enfants Israéliens âgés entre 8 et 14 ans l’histoire de la destruction de Jéricho telle qu’elle est contée dans le livre de Josué. On leur posa une seule question : « Pensez-vous que Josué et les Israélites ont agi correctement ou non?» Trois réponses étaient proposées : A : J’approuve totalement; B : j’approuve partiellement; et C : Je désapprouve totalement. 66% des enfants optèrent pour A, 26 % pour C et un maigre 8 % pour B. Les justifications données pour A étaient, unanimement, religieuses.

Tamarin fit ensuite une malicieuse expérience de contrôle, donnant à 168 enfants israéliens le même texte où il s’était contenté de remplacer Josué par «Le Général Lin» et Israël par «le royaume de Chine, il y a 300 ans». 7% des enfants approuvèrent le comportement du Général et 75 % le désapprouvèrent.

Étant bien conscient que cette recension courte le risque imminent de souffrir de gigantisme, je me limiterai à dire que le huitième chapitre (What is wrong with religion? Why be so hostile?) souligne les méfaits du fondamentalisme, montre son rôle dans la perpétuation de nombreux conflits politiques et, surtout, rappelle comment même les versions plus modérées de la «foi» contribuent à la création d’un milieu favorable à l’expression du fanatisme religieux.

Religion et maltraitance d’enfants

Le neuvième et avant-dernier chapitre porte sur l’enfance, les torts que la religion lui fait et les difficultés qu’ont à s’en libérer les adultes qu’on a endoctrinés durant cet âge de la vie (Childhood, abuse and the escape from religion). C’est à mon avis un des plus percutants et importants chapitre de ce livre; il y a fort à parier que ce sera aussi un des plus controversés.

N’est-il pas inconcevable, demande Dawkins, que l’on désigne des enfants d’un nom qui est celui de la religion de leurs parents — en parlant par exemple d’un petit musulman, d’un petit catholique et ainsi de suite? Imaginerait-on pouvoir désigner les enfants comme étant des petits libéraux, des petits péquistes, des petits adéquistes? De telles étiquettes sont pourtant utilisées, communes, admises dès lors que c’est de religion qu’il est question — alors qu’on ne devrait décemment parler que d’enfant nés de parents catholiques, musulmans, etc. Elles servent à isoler les enfants les uns des autres et surtout, dans les cas les plus extrêmes, à ériger autour d’eux un mur derrière lesquels ils sont sans retenue endoctrinés, malheureuses victimes du hasard qui les a fait naître au sein d’une tradition religieuse. Comment qualifier par ailleurs, si ce n’est de maltraitance religieuse d’enfants, une éducation qui leur parle, inlassablement, d’enfer, de damnation éternelle, de dépravation? Dawkins est particulièrement touchant quand il aborde ces graves questions.

Le chapitre s’ouvre (pages 311-315) sur l’histoire d’Edgardo Mortara, un enfant juif qui a vécu en Italie au XIXème siècle. Le petit Edgardo ayant été baptisé en secret par la nurse (catholique) de la famille, l’Église, par l’intermédiaire des gardes pontificaux, viendra s’emparer de l’enfant, l’enlevant à ses parents qui ne le reverront jamais : un enfant baptisé ne pouvait en effet être élevé par des Juifs! L’histoire de cet enfant, hélas, n’est en rien exceptionnelle et s’est répétée un grand nombre de fois à cette époque. Elle met en évidence certains des thèmes que Dawkins va traiter dans les pages qui suivent. Par exemple, comment admettre qu’il suffit qu’une personne quelconque, n’importe qui, asperge d’un peu d’eau un enfant qui n’a aucune conscience de la véritable signification de ce geste pour qu’un rite ayant de si considérables conséquences pour lui soit tenu pour avoir été légitimement accompli? Par ailleurs, depuis les prêtres, jusqu’au Pape en passant par les Cardinaux, tout ce beau monde était persuadé d’agir pour le bien de l’enfant puisqu’ils assuraient son salut en l’introduisant dans la vraie religion : mais, mortelle blessure, ils le séparaient pour cela de ses parents. Quant à ces parents, les méfaits de la croyance religieuse se mesurent en constatant qu’il leur aurait suffi de consentir à être aspergés d’un peu d’eau pour revoir leur enfant : ce qu’ils n’ont pas fait.

L’idée qu’on peut faire changer de religion un enfant ignorant et qui ne comprend rien à ces choses par un simple rite comme celui-là est absurde, conclut Dawkins; mais elle ne l’est pas plus que l’idée, préalable, qu’un enfant puisse appartenir à une religion en particulier. C’est donc à elle que Dawkins s’en prend.

Persistance de la religion et promotion de l’athéisme

Le dixième et dernier chapitre est intitulé A much needed gap (Un indispensable brèche). Dawkins a distingué quatre fonctions accomplies par la religion : explication; exhortation; consolation et inspiration. Son livre montre bien à quel point, aujourd’hui encore plus qu’hier compte tenu de l’avènement de la science, la première de ces fonctions est accomplie de manière très insatisfaisante par la religion. On a, de même, après la lecture du livre de Dawkins, toutes les raisons de convenir d’une part que la religion accomplit un bien mauvais travail en matière d’exhortation à la moralité, d’autre part que les perspectives ouvertes par la science contemporaine (essentiellement la biologie) pour expliquer l’origine de la moralité (et, donc, également, à tout le moins en partie, celle de la religion) sont fort prometteuses.

Mais, tout en convenant de tout cela, il nous faut admettre que bien des gens cherchent et trouvent, dans la religion, de la consolation et de l’inspiration. Dawkins aborde directement ces thèmes. Son argumentaire, pour l’essentiel, est ici encore de soutenir que ces mêmes fonctions pourraient être accomplies par d’autres moyens.

Mais il n’est sans doute pas raisonnable de penser que d’ici peu la plupart des gens tireront, comme Dawkins, consolation et inspiration de la contemplation de la nature. Et nonobstant ces belles pages qu’il consacre aux perspectives d’émerveillement qu’ouvrent les découvertes de la science contemporaine, il y a fort à parier qu’elles pèsent pour la plupart des gens de bien peu de poids face aux promesses de la religion. C’est une des faiblesses de ce livre. L’autre, plus grave encore, est une évacuation du politique et de la problématique de l’aménagement de l’espace public dans une société pluraliste.

En attendant, comment «expurger» la religion? Dawkins propose essentiellement deux voies. La première est de nous inviter à repenser l’éducation des enfants et les modalités de transmission de la tradition religieuse. La deuxième concerne l’organisation des athées en mouvements et le développement de leur activisme. On ne peut que souscrire aux deux volets de ce programme, même si leur formulation plus explicite ne pourra éviter d’en venir à confronter les questions politiques que le livre occulte.

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