Lors du récent Festival des films du Monde de Montréal, tenu entre le 23 août et le 3 septembre 2007, j'ai eu l'occasion, comme à mon habitude, de visionner plusieurs films provenant de Russie, du Japon, d'Espagne, d'Italie et du Canada. Parmi ces drames et ces comédies, la présentation qui m'a le plus touché est sans doute le documentaire britannique intitulé In the Shadow of the Moon . Ce film raconte par le biais des témoignages des astronautes du programme Apollo les succès et les mésaventures des missions habitées vers la Lune durant les années 1960 et 70. Douze américains ont foulés le sol lunaire, mais depuis 35 ans, personne n’y est retourné.

Comme tous les documentaires sur le sujet, on nous présente des films d'archives, mais certaines séquences inédites n'avaient encore jamais été visionnées par le public alors que d’autres ont été restauré. Le film a été écrit et réalisé par David Sington, un ex-producteur de la série documentaire Nova pour PBS. Toutefois, l'intérêt du film tient surtout dans les propos des astronautes eux-mêmes, dont les réminiscences illuminent l'extraordinaire projet d'atteindre la Lune en moins d'une décennie avec, rappelons-le, une technologie encore incertaine. Nous avons ainsi l'occasion d'entendre les commentaires des Moonwalkers Buzz Aldrin, Alan Bean, Charlie Duke, Dave Scott, Edgar Mitchell, Gene Cernan, Harrison Schmitt, et des pilotes des modules de commande (qui n'ont jamais foulé le sol lunaire) Jim Lovell, John Young, et Michael Collins.

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Parmi ces derniers, l’humour et l’humilité de Michael Collins m’a fait regretter de ne pas avoir lu son livre : Carrying the Fire: An Astronaut's Journeys , selon certains, un des meilleurs témoignages sur la course à la Lune et sur la vie des astronautes à la NASA.

Notons en passant que ce film marque le 50e anniversaire de l’ère spatiale, dont le lancement de Spoutnik, le 4 octobre 1957, signale le commencement. Comme tous les garçons qui ont grandi durant les années 1960, je voulais devenir moi aussi un astronaute, un des « happy few », faits de l’étoffe des héros. Tous ceux qui ont suivi au petit écran la performance des astronautes des missions Apollo se rappelleront que l’exploration spatiale était alors au goût du jour et que nous étions tous influencés dans notre mode de vie par cette glorieuse aventure que nous vivions par procurations à travers les héros de la NASA. (Les accessoires dont se trouvaient munis mon G.I. Joe de l’époque comportaient une combinaison spatiale argentée et une capsule Mercury fabriquée à l’échelle.) Une séquence du documentaire montre d’ailleurs que le vol historique d’Apollo 11 était commandité à la télévision par les céréales Kellogg. L’architecture était alors encore dominée par les formes du Googie tandis que la mode féminine était sous l’emprise de stylistes tels que André Courrèges, Pierre Cardin, et Rudi Gernreich, qui popularisaient des vêtements minimalistes, aux formes géométriques et en matériaux synthétiques.

(C’était une toute autre époque où la NASA était un repaire de pilotes aux nerfs d’aciers, non d’amoureuses transies, portant des couches pour se promener en voiture. Les erreurs techniques faites lors des lancements étaient l’occasion de corriger le tir et d’améliorer les performances toujours meilleures de l’équipement. Ce n’étaient pas des erreurs stupides comme le miroir mal taillé du télescope Hubble que l’on avait négligé de tester et qui coûta des centaines de millions de dollars à corriger, ou comme cette sonde martienne que l’on a perdu parce que l’on avait oublié de calculer en système métrique !)

Dans In the Shadow of the Moon, Buzz Aldrin, le second homme à poser le pied sur la Lune, apporte un commentaire que l’on retrouve rarement dans les livres sur l’exploration lunaire et qui explique l’anecdote fameuse des difficultés d’alunissage. (Aldrin n’en parle pas dans son livre Men from Earth mais on retrouve l’explication dans les notes en fin de volume de l’excellent A Man on the Moon de Chaikin.) On se rappelle qu’Armstrong eut du mal à se poser parce que la surface lunaire était accidentée. Ce problème de navigation fut compliqué par le fait que le radar de surface était surchargé de données. La mission de contrôle à Houston avait dû se pencher sur la situation avant de donner le go final. Aldrin avoue que cette situation s’est produite parce qu’il avait laissé en marche le radar de vol, servant au rendez-vous orbital avec le module de commande, au cas où il aurait fallu abandonner la procédure d’alunissage au dernier moment. Cette situation ne s’était jamais présentée en simulateur, et donc, à cette première occasion, les données des deux radars avaient surchargé l’ordinateur de navigation et compromis la mission. Détail intéressant ! C’était une époque, comme le dit Lovell, où l’on posait des gestes audacieux. Au diable, les ordinateurs, on pilotait les engins spatiaux à l’œil et au poignet !

Pour la petite histoire, signalons qu’Aldrin avait été surnommé par ses collègues Dr. Rendez-vous parce qu’il ne parlait que de rendez-vous orbitaux et de navigation spatiale. Ce qui faisait de lui une figure particulièrement ennuyeuse durant les sauteries ! Il démontra par ailleurs ses compétences en la matière lorsqu’il reprogramma manuellement avec succès les manoeuvres de rendez-vous après que le radar de bord faillit dans sa tâche durant la mission Gemini XII. Et c’est ce qui explique aussi sa présence dans l’équipage de la première mission d’exploration lunaire.

J’ai rencontré Edwin Eugene « Buzz » Aldrin Jr lors d’une soirée-conférence à la Place des Arts en 1997, alors qu’il faisait des tournées de promotion pour vendre son roman de science-fiction, Encounter With Tiber . Si certains, comme Michael Collins, son collègue d’Apollo 11, ont tracé de lui un portrait d’homme un peu froid et distant, porté à l’emphase, ce soir-là, il nous a paru doté d’un caractère sympathique et nous a charmé par ses convictions et par le récit de ses succès comme de ses déboires. On sait que son retour triomphal sur Terre s’est soldé par son divorce, la dépression et l’alcoolisme ; étapes qu’il raconte d’ailleurs dans son autobiographie, Return to Earth.

Les pilotes sans peur et sans reproche des années 1960 sont maintenant devenus des vieillards. Mais ils ont encore l’œil vif et quand on les écoute parler de la Lune, on sent que l’expérience les a réellement transformés. Armstrong est absent mais on s’y attendait car il ne donne jamais d’entrevues et ne participe que très rarement à des activités de commémoration. Sans doute cela ajoute-il à la mystique du Premier Homme sur la Lune. Ce qui ne l’empêche pas d’être au centre de l’histoire puisque les autres vétérans apportent tout de même leur anecdote sur lui.

Pour ceux qui voudraient mieux connaître l’odyssée personnelle des Moonwalkers, je vous suggère également la lecture de l’ouvrage d’Andrew Smith, Moondust: In Search of the Men Who Fell to Earth . Ce n’est malheureusement pas le livre définitif sur le sujet car il est un peu trop superficiel mais il a le mérite de compiler des entrevues avec les Moonwalkers et d’essayer de cerner leur caractère. Espérons que d’autres biographes se mettront à la tâche avant que ces valeureux vieillards disparaissent entièrement de nos vies. Par contre je vous recommande sans réserve le visionnement de l’excellente minisérie télévisée coproduite par Tom Hanks pour HBO, et disponible en DVD : From the Earth to the Moon .

In the Shadow of the Moon rappelle qu’il fut une époque glorieuse et héroïque où le rêve de l’espace, juvénile peut-être mais éternel et légitime, était partagé par toute la société. Certes, ce projet grandiose fut sans doute réalisé pour de mauvaises raisons, sous l’impulsion de la course aux armements et dans le cadre de la guerre froide, mais les gens qui y participèrent gardent encore de ces réalisations et des paysages cosmiques qu’ils ont entrevu un souvenir éloquent. C’est ce dont les Moonwalkers, ces hommes vieillissants, ces survivants de l’ère spatiale, témoignent dans ce film.

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