C’est déjà surprenant de voir qu’il existe quelque opéras de science-fiction ; The Fly et Repo ! The Genetic Opera, n’en sont deux exemples récents mais il existe fort peu d’opéras centrés sur la science, sur la physique plus précisément. En effet, combien d’opéras peuvent se targuer de débuter sur la présentation du tableau périodique ! Doctor Atomic, la dernière production du Metropolitan Opera de New York porte sur un des exploits scientifiques et techniques les plus impressionnants, et les plus menaçants, du siècle dernier, ainsi que sur un moment pivot de l’Histoire.

Samedi dernier, je suis donc allé voir dans une salle de cinéma locale la retransmission en haute définition du Metropolitan Opera de New York. En effet, le Met s’est lancé depuis décembre 2006 dans un partenariat avec 28 cinémas au Canada (plus d’une douzaine au Québec) pour la diffusion par satellite de sa programmation. Notons que les opéras du Met sont également disponibles sur Internet, moyennant des sous.

Abonnez-vous à notre infolettre!

Pour ne rien rater de l'actualité scientifique et tout savoir sur nos efforts pour lutter contre les fausses nouvelles et la désinformation!

Je m’étais déjà prévalu du privilège de visionner l’opéra à la télévision et d’écouter les retransmissions du Met à la radio mais je n’avais encore jamais expérimenté ces superbes productions musicales sur les écrans géants, l’ambiophonie Dolby Digital, la haute définition et le confort des salles de cinéma. Bref, il s’agit là d’une excellente expérience.

Doctor Atomic a été créé par le compositeur américain John Adams et par le librettiste Peter Sellars, connu pour ses mises en scène originales. L’opéra a été présenté pour la première fois à Los Angeles en octobre 2005, où il a reçu d’excellentes critiques. La nouvelle production new-yorkaise est l’œuvre de la directrice de cinéma britannique Penny Woolcock mais garde l’excellent baryton canadien, Gerald Finley. La jeune, et adorable, Sasha Cooke tient le rôle principal féminin dans celui de son épouse.

Le thème de l’opéra touche directement la science et ses implications sociales puisqu’elle s’attache à décrire l’anxiété et l’état d’esprit des scientifiques de Los Alamos qui ont préparé le test de la première bombe atomique à Trinity en 1945. Une grande partie du livret a été adapté à partir de documents déclassifiés du gouvernement américain, des lettres des représentants officiels ainsi que des communications du personnel militaire impliqués dans le projet Manhattan. Mais on y retrouve également des textes empruntés comme la poésie de Beaudelaire et de John Donne, des extraits de la Bhagavad Gita et de chansons traditionnelles amérindiennes.

Le premier acte se déroule un mois avant la détonation de la première bombe atomique et le second acte se passe au matin du jour J, le 15 juillet 1945. L’opéra se termine sur les derniers moments avant le test. L’œuvre est centrée autour des personnages de Kitty, la femme de Robert Oppenheimer, ce dernier ainsi que le général en charge du projet Manhattan, Leslie Groves. On y retrouve également les personnages des scientifiques Robert Wilson et Edward “Dr. Strangelove” Teller.

Bien que Doctor Atomic s’attache plus à explorer les caractères et les personnalités de ses personnages qu’à faire revivre les événements historiques duquel il est inspiré, le thème de l’utilisation de la bombe atomique, donc ces considérations morales liées aux armes de destruction massive, est exploré.

Notons, en passant, que l’œuvre avait été critiquée pour certaines incohérences dans le traitement de la science. En effet, le premier couplet commence par : “Matter can be neither created nor destroyed / Energy can be neither created nor destroyed”. Ce qui ne correspond pas vraiment à l’esprit de la formule d’Einstein E=mc2. Le compositeur a donc modifié le verset pour lui ajouter “but only altered in form”. Par ailleurs, c’est un peu surréaliste, du moins pour des amateurs d’opéra, d’entendre le chœur entonner les spécifications techniques de la bombe. Le décor même fait penser à la structure du tableau périodique avec son assemblage de petites boîtes, de même qu’à la compartimentalisation du travail à Los Alamo. C’est donc intéressant de voir les considérations liées à la pensée et au travail scientifique transposées dans le ressort scénique de l’œuvre.

Le titre de l’opéra fait penser au Docteur Faust, et à son pacte diabolique. (Notons qu’au programme de Met, on retrouve également la Damnation de Faust de Berlioz. Il y a là certainement un fil conducteur.) En tous les cas, le mythe de Faust a inspiré plusieurs dizaines d’opéras, dont Doctor Atomic peut être considéré comme l’un des derniers avatars. Le compositeur avoue d’ailleurs, durant l’entracte, qu’il a conçu Doctor Atomic comme un opéra faustien. Toutefois, l’œuvre évite de montrer ouvertement Oppenheimer, le père de la bombe atomique américaine, comme un nouveau Faust dévoré par la soif de puissance ou même de connaissance. C’est plutôt un Prométhée tiraillé par les conséquences de son invention et qui s’interroge sur le bien-fondé de l’entreprise. Le chœur rappelle qu’il ne s’agit pas là d’une invention issue d’un génie individuel mais plutôt le travail commun de centaines d’hommes et de femmes ordinaires.

Depuis que j’ai vu 1000 airplanes on the roof, un opéra en un acte sur la musique de Philip Glass, j’ai été conquis par la musique minimaliste, dont les mélodies peuvent être envoûtantes. La musique de John Adams, quant à elle, est complexe et sombre à souhait, dominée par les voix d’hommes. Les rôles-titres ne sont d’ailleurs pas tenus par des ténors ou des sopranos, mais plutôt par un baryton et une mezzo-soprano. Et le seul autre rôle féminin (Pasqualita) est également une mezzo. On y entend des passages de musique concrète et de musique ambiante, par exemple avec des compilations de sons et de bruits qui vont de cris de bébés à des extraits de dialogues japonais. Certains arias sont touchants, dont le solo “Batter My Heart”, qui montre l’angoisse d’Oppenheimer devant la perte de son âme, et qui conclut le premier acte. D’autres morceaux s’approchent plus des répétitions lyriques de Philip Glass. La présence chorale est prononcée, notamment avec deux belles pèces dans le second acte. Et notons l’utilisation de tritons musicaux (intervalle de trois tons), que les anciens évitaient parce qu’il les trouvaient trop durs pour l’oreille, et que l’on nommait diables dans la musique ! Ce qui renforce le thème du pacte faustien avec le diable.

(En passant, étant donné que l’action se déroule durant les années 1940, tous les personnages fument comme des cheminées – de fausses cigarettes. C’est ironique de penser que ces petits tubes de tabac ont fait plus de victimes à elles-seules que toutes les bombes atomiques. Oppenheimer est d’ailleurs mort du cancer de la gorge à l’âge de 62 ans après avoir fumé plusieurs paquets de cigarettes par jour. Les plus jeunes d’entre nous n’ont pas connu un monde ou les cendriers étaient omniprésents. Une série télévisée comme Mad Men nous rappelle que cette époque n’est pas très éloignée de nous. Dans un blogue qui touche aux aspects culturels de la science, il n’est pas inutile de rappeler que les découvertes que nous faisons dans le cadre des sciences de la santé influent réellement sur le cadre sociétal dans lequel nous évoluons… même si ces changements de comportement peuvent prendre plus d’une génération à se produire).

Doctor Atomic, contrairement à ce que l’on pourrait s’attendre, se termine, non pas sur un bang mais sur un murmure.

Il y a aussi beaucoup de dissonance dans cet opéra moderne. Je ne suis pas sûr que les amateurs de bel canto y trouveront leur compte car il y a peu de véritables duos et les arias ressemblent plus à des dialogues rythmés qu’à de véritables chants. L’œuvre, il faut bien le dire, comporte aussi quelques faiblesses : des longueurs inutiles dans le second acte, une thématique améridienne qui ne colle tout simplement pas avec le tout et qui constitue un ajout artificiel dicté par l’intellectualisme de la pièce, un livret qui utilise un jargon scientifique propre aux scientifiques du projet Manhattan, un coda que certains trouveront peut-être insatisfaisant bien qu’ingénieux.

Mais, pour celui qui voudra concilier le monde de la musique et celui des sciences, je vous recommande l’écoute et le visionnement du Doctor Atomic. C’est une œuvre puissante qui saura mettre un peu d’émotion dans des débats trop souvent académiques.

------------

On trouvera un commentaire (en anglais) sur l’opéra Doctor Atomic sur le site

Commentary on a opera : http://www.exploratorium.edu/doctoratomic/

Le site officiel du Doctor Atomic : http://www.doctor-atomic.com/

Le minisite du Met consacré au Doctor Atomic : http://www.metoperafamily.org/metopera/news/dr_atomic/index.aspx

Je donne