Un article récent dans le blogue de Wired discute de l’importance grandissante de la science dans les séries télévisées américaines. En effet, depuis quelques années on assiste à une résurgence de la science et des scientifiques dans les émissions de télévision présentées à la télévision. Des téléséries comme La Loi des nombres (Numb3rs), qui exploite les diverses théories et méthodes mathématiques pour aider les agents du FBI, Les Experts (CSI: Crime Scene Investigation), qui met en scène des spécialistes en criminalistique chargés d’examiner les scènes de crime, Eleventh Hour et The Mentalist , dont les consultants sont engagés pour enquêter sur des cas bizarres, montrent le travail des scientifiques ainsi que les méthodes qu’ils utilisent pour arriver à leurs conclusions.

 

Certes ce genre de feuilletons télévisés existe depuis longtemps mais la science y était généralement secondaire, et les explications scientifiques absentes, quand elle n’était tout simplement pas mise de côté, par exemple comme dans les X-files, aux frontières du réel . (Bien que cette émission ait été séminale à bien des points de vue, le scepticisme scientifique y était souvent laissé pour compte. Le motto de la série était d’ailleurs : Je veux croire.) Au contraire, dans Les experts ou La loi des nombres, les faits sont non seulement expliqués, mais également montrés par des animations ou des reconstitutions.

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L’article de Wired attribue ce renouveau de la science à la TV à Michael Crichton (qui est décédé depuis peu) et à sa série médicale ER (pour Emergency Room). Je n’en suis pas aussi sûr. Il me semble que l’Internet, la culture hacker, et bien d’autres causes plus obscures (dont l’utilisation des preuves d’ADN dans le procès de O.J. Simpson, par exemple) sont en jeu. Néanmoins, il est clair que les geeks ont désormais une cote qu’ils n’avaient plus depuis les années 1950. Une comédie de situation comme The Big Bang Theory , qui met scène des geeks surdoués, avec leurs références à la science-fiction et leur dialogue saturé de jargon scientifique, eut été impensable à l’ère de Gilligan’s Island ou Three’s Company. Les téléspectateurs, plus éduqués, s’attendent désormais à un peu plus de sophistication.

 

Et notons que les références à la théorie des cordes ou les diagrammes de Feynmann dont on fait étalage dans ces téléséries sont tout à fait correctes. Des consultants scientifiques sont chargés de vérifier leur exactitude dans les scripts soumis.

 

C’est par ailleurs assez étrange de voir s’épanouir ces séries télévisées, basées sur la science (et non sur la science-fiction), à l’ère des téléréalités, dont les spectacles confondants dominent encore les ondes. Il y a là un fossé insurmontable entre deux cultures, entre deux publics télévisuels.

 

Tout n’est pas rose dans cette démonstration de puissance de la méthode scientifique. En effet, bien que les théories mathématiques exprimées dans La loi des nombres pour résoudre les problèmes du FBI soient sans doute applicables dans la réalité, leur utilisation pratique sur le terrain laisse rêveur. Car les théoriciens universitaires seraient incapables de réaliser la cueillette des données (dont la quantification est pour le moins aléatoire sinon difficile) ou de faire celle-ci dans des temps raisonnables. Comme dans Les experts, où les analyses chimique, spectrographique, et d’ADN, semblent faciles et presque mécaniques, les outils informatiques montrés par La loi des nombres, dépassent les capacités actuelles et réelles de la grande majorité des institutions d’enseignement et de recherche, sans compter les laboratoires policiers d’expertise criminalistique.

 

(Un ouvrage inspiré de la série renseigne sur le sujet : The Numbers Behind Numb3rs: Solving Crime with Mathematics (Plume, 2007, 256 p.) Notons également le site Web dédié à la science de Numb3rs : http://numb3rs.wolfram.com/509/. Le Wolfram du site en question est l’inventeur du logiciel Mathematica, donc pas le premier quidam venu !)

 

En soi, cette image de la science, dont la toute-puissance et la certitude des résultats sont trop souvent exagérée à des fins dramatiques, est tout aussi incorrecte que la perception de la science comme outil diabolique, ou celle des scientifiques représentés comme des savants fous, comme dans la télésérie Les Héros, par exemple.

 

Ce qui nous amène à une seconde observation. La très grande majorité de ces feuilletons télévisés mettant en scène des scientifiques sont des séries criminelles. La science n’y est donc utilisée que dans un contexte pratique, où elle permet de d’établir des preuves contre les vilains. Ainsi, si la science est utilisée dans la résolution de crimes, elle est également associée à des criminels. De plus, dans quelques cas, ces vilains sont eux-aussi des experts scientifiques. Par exemple, Dexter , le spécialiste en scène de crime de la police de Miami, est un tueur en série qui se sert de ses connaissances pour éviter de laisser des traces incriminantes. Dans Breaking Bad , un professeur de chimie, miné par les dettes et la maladie, se tourne vers l’argent facile que la production de drogues illicites lui fournit. J’ai déjà parlé de cette criminalisation de la chimie dans un billet précédent. (Plusieurs États américains demandent maintenant des permis pour se procurer des équipements de base en chimie comme, par exemple, de simples fioles Erlenmeyer.) Breaking Bad en est un exemple flagrant.

 

Cette utilisation de la science ne me paraît pas toujours positive. Et je ne compte pas la tendance pernicieuse dans les séries criminelles depuis une décennie, peut-être deux, consistant à montrer au petit écran des autopsies toutes plus répugnantes les unes que les autres. Pouah !

 

Il y a tout de même de forts bons moments dans ces feuilletons, par exemple, dans la Loi des nombres, où l’aspect ludique de l’activité scientifique ressort : on marche sur des liquides rhéopectiques, on provoque des éruptions en mettant des bonbons à la menthe (menthos) dans une bouteille de boisson gazeuse, on s’amuse en recréant des numéros d’illusionniste, etc.

 

Bref, un âge d’or pour la science à la TV ? Peut-être. Mais ça ne m’empêche pas, comme Selma et Patty les belles-sœurs de Homer Simpson, de m’ennuyer un peu de MacGyver !

 

 

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