Ananda Chakrabarty, microbiologiste chez General Electric, dépose en 1972 une demande de brevet sur une bactérie génétiquement modifiée capable de dégrader les hydrocarbures. La demande est rejetée par le US Patent and Trademark Office. En 1980, la Cour Suprême des États-Unis statue que la loi sur les brevets ne fait pas de distinction entre le vivant et l’inanimé. Chakrabarty obtient son brevet. Depuis, le brevetage du vivant s’est accéléré. À eux seuls, les marchés potentiels de la santé et de l’agriculture se chiffrent en centaines de milliards de dollars.

Le brevetage est régi par l’Organisation mondiale du commerce (OMC) avec les Accords des droits sur la propriété intellectuelle (ADPIC). Le brevet confère à son titulaire le droit d’empêcher qui que soit de fabriquer, d’exploiter, d’importer ou de vendre l’invention. Bref, un monopole. Et ce pendant 20 ans. En contrepartie, le titulaire doit publier toutes les informations nécessaires à l’utilisation de l’invention. Les brevets assurent ainsi une certaine transparence.

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Pour utiliser une invention brevetée, on doit obtenir une licence de l’inventeur, mais ce dernier peut refuser. Les entreprises de biotechnologie utilisent l’échange de licences pour se donner mutuellement accès à leurs brevets. Par exemple, Monsanto et Dupont ont échangé des licences de brevets sur des variétés transgéniques de maïs et de soja.

Un brevet ne confère pas à son titulaire le droit de commercialiser, voire d’utiliser, l’invention.

Invention ou découverte ? Là est la question

Dans sa demande, l’inventeur doit préciser la portée éventuelle du brevet. Par exemple, une entreprise peut breveter la façon de fabriquer un OGM et son usage (traitement des insectes). Chacune de ces applications doit respecter trois critères : nouveauté, utilité et non-évidence.

La nouveauté signifie que l’invention ne doit pas être connue sous sa forme actuelle. La nouveauté ne semble pas poser de problèmes dans le domaine des biotechnologies. Par exemple, une séquence génétique clonée est sous une forme que l’on ne retrouve pas naturellement.

Pour sa part, l’utilité signifie que l’invention doit avoir une application pratique. Par exemple, les tests diagnostiques mettent en évidence les origines génétiques de certaines maladies.

Reste la non-évidence qui signifie que l’invention ne doit pas être évidente pour un spécialiste. Pour qu’un brevet soit accordé, une intervention humaine est nécessaire. Les brevets portent sur les inventions, mais pas sur les découvertes. En matière de biotechnologie, cette distinction est parfois floue.

Une souris et des OGM

En 1982, deux chercheurs d’Harvard introduisent dans une souris des gènes qui la rendent vulnérable au cancer (oncogènes). Cette introduction transforme cette souris, et ses descendants, en un outil convoité dans la recherche sur le cancer. Les chercheurs obtiennent, en 1988, un brevet étatsunien sur cette oncosouris.

Au Canada, un important débat judiciaire a entouré la demande de brevet. En 2002, la Cour suprême (à cinq voix contre 4) renverse la décision de la Cour d’appel et refuse d’attribuer un brevet. Raison : l’oncosouris ne répond pas à la définition du terme « invention ». Celle-ci doit pouvoir être reproduite de façon identique. Or les rejetons de l’oncosouris ne sont pas génétiquement identiques.

Contrairement aux États-Unis et à l’Europe, Le Canada n’a jamais attribué de brevets pour des plantes ou des animaux.

Les OGM présentement approuvés au Canada ne sont pas brevetés en tant qu’organismes vivants, mais en tant qu’application d’un organisme vivant. Par exemple, une technologie pour le traitement des insectes.

Autre forme de protection ?

En 1968, La Convention internationale pour la protection des obtentions végétales entre en vigueur. Elle accorde aux sélectionneurs de semences des certificats d’obtention végétale (COV) d’une durée de 20 ans pour les plantes annuelles et de 25 ans pour les plantes vivaces. Ces certificats reposent sur 4 critères : nouveauté, différence par rapport aux autres variétés connues, homogénéité et stabilité. Le COV est en quelque sorte un droit d’auteur qui confère à l’obtenteur le droit exclusif de : reproduction, multiplication, conditionnement, vente, importation et exportation.

Contrairement aux brevets, les COV permettent d’utiliser la variété pour en créer une nouvelle. Cette « exception de l’obtenteur » garantit le libre accès à la source initiale de variation. Toute variété protégée par un COV peut ainsi être librement utilisée pour la création d’une nouvelle variété. Ce qui est protégé par ce système est la combinaison spécifique des gènes constituant la variété mais non les gènes eux-mêmes.

Les COV permettent aussi de ressemer la variété. Cette permission est vue comme un « privilège de l’agriculteur ». Ce qui n’est pas le cas avec les OGM brevetés.

Cas Schmeiser

En 2001, la Cour suprême du Canada donne raison à Monsanto. La multinationale accusait Percy Schmeiser, un agriculteur saskatchewannais, d'avoir utilisé sans permis un canola OGM breveté. L’agriculteur soutenait que le canola s’étaient retrouvé dans ses champs par accident. Pour sa part, Monsanto soutenait que la concentration en OGM dans les champs de monsieur Schmeiser atteignait 90 % par endroit. L'agriculteur a été reconnu coupable d'avoir violé le brevet sur le canola OGM, peu importe comment celui-ci s'est retrouvé dans son champ.

Économie c. éthique

En général, les partisans du brevetage du vivant évoquent des arguments d’ordre économique, tandis que les opposants en soulèvent d’ordre éthique.

Pour :

- Les brevets offrent une certaine assurance de rentabilité. Ils favorisent l’innovation et stimulent la recherche. Résultat : de meilleurs traitements médicaux, de meilleurs aliments, de meilleurs produits…

- Les entreprises de biotechnologies investissent beaucoup dans la recherche. Elles devraient pouvoir en tirer profit.

- Les pays qui autorisent les brevets sur le vivant ont un avantage concurrentiel dans un marché qui se mondialise.

Contre :

- Le brevet privilégie la connaissance technique via les innovations générées en laboratoire aux dépends de la connaissance traditionnelle qui opère dans la conservation et la valorisation d'espèces végétales.

- Les brevets tendent à diminuer les échanges scientifiques. Certaines entreprises demandent systématiquement des brevets à portée très large, ou encore un grand nombre de brevets reliés à la même invention, de façon à pouvoir éliminer leurs concurrents en les menaçant de poursuites pour contrefaçon.

- Perte de respect pour la vie. Les êtres vivants sont transformés en objet et n’ont qu’une valeur économique.

- On usurpe la place de Dieu ou de Mère Nature.

Selon vous, le système de brevetage du vivant devrait-il être modifié afin de prendre en compte les valeurs de la société actuelle ?

Références

Clayes, A. (2001) Rapport sur la brevetabilité du vivant. http://www.assemblee-nationale.fr/rap-oecst/i3502.asp

Comité consultatif canadien de la biotechnologie (2002) La brevetabilité des formes de vie supérieures. http://strategis.ic.gc.ca/eic/site/cbac-cccb.nsf/vwapj/E980_IC_IntelProp_f.pdf/$FILE/E980_IC_IntelProp_f.pdf

Convention internationale pour la protection des obtentions végétales (1991) http://www.upov.int/fr/publications/conventions/1991/act1991.htm

Gouvernement du Canada. Loi sur les brevets. http://lois.justice.gc.ca/PDF/Statute/P/P-4.pdf

Montpetit, Isabelle (2002) Breveter le vivant. Société Radio-Canada. http://www.radio-canada.ca/nouvelles/Dossiers/brevetage/index.html

Rudolph, J.R. (1996) Étude des questions relatives à la brevetabilité de la matière des biotechnologies.

http://www.ic.gc.ca/eic/site/ippd-dppi.nsf/vwapj/rudolpff.pdf/$FILE/rudolpff.pdf

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