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Facile de reprocher aux journalistes de mal faire leur travail. Mais difficile de faire des miracles quand les représentants de BP sont partout. Au point où même les scientifiques sont incapables d’accéder... au lieu de la fuite!

C’est que derrière cette marée noire, il y a toute l’histoire des relations publiques en science. Un des faits marquants de l’évolution de la vulgarisation scientifique des 30 dernières années, c’est en effet la montée en puissance prodigieuse des budgets consacrés aux relations publiques (tandis que les médias, eux, coupent dans leur personnel). Tout le monde veut maintenant « contrôler » à sa façon l’information. Et avec BP, on a eu l’exemple extrême.

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Pourquoi, par exemple, est-il si difficile d’avoir une estimation des dégâts? Ce n’est pas parce que les scientifiques ne sont pas capables de s’entendre sur les chiffres. C’est parce que seul BP a accès aux « lieux du crime ». Et elle n’a même pas besoin de l’interdire aux scientifiques, elle seule possède l’équipement nécessaire pour travailler à cette profondeur. Le gouvernement voudrait-il la déloger qu’il ne le pourrait pas.

D’où, monopole de l’information (20 mai, 26 mai, 28 mai), qui devient pratiquement kafkaïen, comme l’a constaté cette journaliste de Mother Jones tentant de se rendre sur la réserve naturelle de l’île Elmer :

La représentante de BP, Barbara Martin, leur dit [aux journalistes] que s’ils veulent se rendre sur l’île Elmer, ils doivent passer par un autre attaché de presse de BP... Nous lui disons que le shérif vient tout juste de nous crier de partir, et elle semble troublée.... « Nous n’avons pas besoin d’une image encore plus mauvaise que ce que nous avons maintenant. » « Mais ce n’était pas BP qui nous engueulait, c’était le shérif », lui disons-nous. « Oui, je sais, mais nous avons... une relation très étroite. »

« Que voulez-vous dire? Vous avez beaucoup d’influence sur le bureau du shérif? »

« Oh oui. »

Lorsque je dis à Barbara que je ne comprend pas pourquoi je ne peux pas aller à l’île Elmer sans être escortée par BP, elle me dit que BP est en charge parce que « c’est le pétrole de BP ».

« Mais ce n’est pas le terrain de BP... Il y a des touristes et des résidents qui marchent autour [des plages] et dans les rues. »

« Le maire décide quelles plages sont fermées. » Alors j’appelle la police [de Grand Isle], et je demande un relationniste, pour être redirigée vers la boîte vocale de Mélanie, chez BP. Je rappelle la police et lui demande pourquoi elle m’a donné le numéro de BP; elle blâme le chef-pompier. J’appelle le chef-pompier. « C’est le numéro qu’ils nous ont donné. » « Qui? » « BP ».

Dans ces conditions, qu’auraient pu faire les journalistes scientifiques? Pas grand-chose. C’est assez significatif de voir que les blogueurs de science, d’ordinaire très critiques face aux médias, n’ont rien à se mettre sous la dent eux non plus. Depuis deux semaines, le monopole s’effrite un peu, à mesure que des navires scientifiques arrivent dans la région, mais il est trop tard pour qu’ils puissent juger de ce qui aurait pu être fait et ne l’a pas été.

Le dernier exemple en lice, anecdotique, est l’échec de ce « top kill ». Jeudi matin, le Los Angeles Times rapporte que, selon l’amiral Thad Allen, de la Garde côtière, l’injection massive de boue aurait réussi à colmater la fuite de pétrole. Pendant toute la journée, les médias font état d’un « optimisme prudent »... mais BP reste muet. « L’opération top kill se poursuit, lit-on sur son site. Il n’y a aucun événement significatif à rapporter pour l’instant. »

Ce n’est qu’à 17h que le New York Times rapporte que l’injection de boue a été arrêtée... 16 heures plus tôt! « Après que les ingénieurs eurent vu que trop de fluide s’échappait en même temps que le pétrole. » Aucun événement significatif à rapporter, vraiment?

Le top kill est-il donc un éehec? Ce n’est que samedi que BP l’admet finalement. Un autre rappel, résume la Columbia Journalism Review , que « le gros de ce qui se passe autour de cette fuite, est invisible à tout observateur indépendant ». Le rôle des médias pourrait être de souligner ce fait, ce qui serait déjà beaucoup.

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