capture_decran_2011-02-25_a_6.57.04_.png
Les faussaires préfèrent généralement l'anonymat – sans doute en raison de leur « travail » - et laissent donc rarement une marque dans l'histoire. Ceci rend le cas de Han Van Meegeren (1889-1947) d'autant plus remarquable. On s’explique de différentes façons le fait qu’il soit arrivé à tromper les plus grands experts pour devenir le faussaire peut-être le plus célèbre de l'histoire. L’argument que j'apprécie le plus, c'est qu'il était... un bon chimiste.

D'origine hollandaise, Van Meegeren se dirige dès son jeune âge vers la peinture. Il se construit une réputation de portraitiste et obtient de nombreuses commandes. Or, les choses changent vers la fin des années 1920, quand il décide de modifier son style et de s’inspirer des maîtres hollandais du 17e siècle. Les critiques qui chantaient ses louanges l'accusent maintenant de n'être bon qu’à imiter. Enragé, il entreprend de leur démontrer qu'il est capable de rivaliser avec les grands maîtres. Il décide de créer le « parfait faux », un travail minutieux qui lui demandera près de six ans (1932 -1937).

Abonnez-vous à notre infolettre!

Pour ne rien rater de l'actualité scientifique et tout savoir sur nos efforts pour lutter contre les fausses nouvelles et la désinformation!

En 1932, il loue une villa à Roquebrunne, dans le sud de la France, d'où il lance son projet. Il choisit judicieusement Vermeer comme modèle pour son faux. Cet artiste, décédé en 1675, était resté relativement méconnu jusqu'au 20e siècle, mais sa réputation depuis était en pleine ascendance. Comme il n'avait laissé qu’environ 35 tableaux, ces derniers avaient une grande valeur.

Pour obtenir une toile authentique, il utilise un tableau sans valeur du 17e siècle duquel il enlève la peinture à la pierre ponce. Il prépare ses propres pigments en se servant des matériaux de l'époque : pour le blanc, la céruse à base de plomb; pour le bleu, une pierre rare, le lapis lazuli; et pour le rouge, le minerai à base de mercure, le cinabre. Puis, il a recours à des pinceaux en poils de blaireau, du type de ceux que Vermeer aurait utilisés.

Mais ce sont ses connaissances de chimiste qui seront essentielles à sa réussite. Pour déterminer si un tableau est d'époque, les experts procèdent au « test à l'alcool ». Les pigments d'un tableau ancien se polymérisent avec le temps et résistent quand ils sont frottés avec un coton imbibé d'alcool, ce qui n'est pas le cas avec un tableau fraîchement peint, où la peinture déteint. Pour contrer ce test, Van Meegeren a l'idée d'utiliser un vernis à base de bakélite, un polymère synthétique qui durcit rapidement quand il est chauffé. Après un traitement à 100 degrés C, le tableau a l’air d’avoir 300 ans.

Le génie du faussaire réside aussi dans le choix du thème de son Vermeer. Il sait que l'expert qui sera responsable de l'authentification du tableau, Abraham Bredius, soutient que Vermeer a été influencé par le peintre italien Le Caravage (1571-1610). Une des œuvres du Caravage s'intitulant Souper à Emmaüs, Van Meegeren peint son tableau dans le style du Caravage et lui donne comme titre Les disciples d'Emmaüs.

En 1937, Van Meegeren présente son tableau à Abraham Bredius, heureux de voir confirmer sa théorie. Effectivement, après la validation du « test à l'alcool », l’expert déclare que le tableau est un authentique Vermeer. Fort de cette recommandation, Van Meegeren vend la toile pour l'équivalent actuel de quatre millions de dollars.

Dans les années qui suivent et tout au long de la guerre, alors que la Hollande est occupée par les Allemands, le peintre continue à « découvrir » et à vendre des « Vermeer », mais aussi des « Frans Hals » et autres maîtres peintres hollandais. Extrêmement riche, il mène la belle vie alors que ses compatriotes souffrent.

À la fin de la guerre, on découvre un de ses « Vermeer » dans la collection particulière d’Hermann Goëring, membre influent du Troisième Reich. Van Meegeren est alors accusé d'avoir vendu aux Nazis des trésors culturels du pays, un crime passible de la peine de mort. Pour se disculper, il avoue sa tromperie. Le problème est qu’à ce stade, personne ne le croit! On croit que c’est une histoire inventée pour échapper à la condamnation. Les experts, Abraham Bredius en premier, qui ne veulent pas admettre avoir été dupés, insistent pour dire que Van Meegeren est incapable d’accomplir de tels chefs-d’œuvre. Pour prouver ses capacités, Van Meegeren crée, sous la supervision de témoins, un nouveau Vermeer.

Ceci suffit à convaincre les juges et, comme il le souhaitait, Van Meegeren est condamné comme faussaire plutôt que comme collaborateur. Il écope d’un an de prison, mais meurt des suites d’une crise cardiaque avant d’avoir purgé sa sentence. Aujourd’hui, grâce à sa notoriété, les vrais Van Meegeren, signés de son propre nom, ont pris une certaine valeur. C’est pourquoi, et c’est l’ironie finale, on retrouve sur le marché... des faux Van Meegeren.

- Le site de l' Organisation pour la science et la société de l'Université McGill

Je donne