« On m’a dit plus de cent fois que mon fils ne survivrait pas la prochaine heure, le prochain jour, le prochain mois ou la prochaine année » disait Amylynne Santiago-Volker, en entrevue à MSNBC en décembre dernier. Les médecins et généticiens ont finalement trouvé la maladie rare dont souffrait son fils Nicholas grâce au séquençage d’une partie de son génome. Mieux encore : ils l’ont guéri.

Depuis l’âge de 15 mois, Nicholas Volker souffre d’inflammation intraitable des intestins. Son corps n’absorbe pas les nutriments qu’il ingère. Son cas est si grave que des trous se forment entre ses intestins et sa peau, déversant le contenu de son système digestif dans son abdomen. Les lésions de Nicholas pourraient causer une infection systémique; ses médecins doivent donc les nettoyer à tous les jours sous anesthésie générale. En deux ans et demi, Nicholas passera plus de 100 fois sur la table d’opération et plus de 700 jours à l’hôpital. À quatre ans, il ne pèse que 9 kilos.

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Entre-temps, il a subi tous les tests possibles pour diagnostiquer sa maladie, mais sans succès. Ses médecins croient qu’il souffre de la maladie de Crohn, mais la maladie de Crohn est traitable, alors que la maladie de Nic ne répond à aucun traitement. Pas même à la chimiothérapie qui détruit son système immunitaire et devait éliminer la maladie de Crohn. Nicholas subit aussi l’ablation de son gros intestin, et son état semble s’améliorer pendant quelques mois. Puis, il rechute.

« Cher Howard… »

Alan Mayer est un son pédiatre. Il est aussi père de famille, et le cas de Nicholas le taraude. Un samedi matin, le 27 juin 2009, il écrit un courriel au directeur du centre de génétique humaine et moléculaire du Wisconsin, Howard Jacob : « Cher Howard, J’espère que vous allez bien. J’aimerais avoir votre opinion sur un de mes patients. (…) J’écris pour demander s’il y aurait un moyen de séquencer son génome. Il y a une bonne chance que Nicholas ait un défaut génétique, et c’est sûrement une nouvelle maladie. De plus, un diagnostic rapide pourrait sauver sa vie et mettre en valeur la médecine génomique personnalisée… »

Selon Howard Jacob, c’est « une proposition insensée. Trouver une mutation, un changement d’une seule lettre dans un code génétique qui en comporte plus de 3 milliards » est impossible. De plus, en juin 2009, ça n’a jamais été fait. Le temps et l’argent nécessaires pour accomplir une telle tâche ne sont pas disponibles.

Le professeur Jacob convoque tout de même une réunion avec les gens du laboratoire de séquençage la semaine suivante. Les chercheurs élaborent un plan : plutôt que de séquencer tout le génome de Nicholas (les plus de 3 milliards de paires de bases, ou lettres), ils ne liront que ses exons. Les exons sont les parties des gènes qui contiennent les informations nécessaires pour faire des protéines. La majorité des maladies héréditaires sont causées par un défaut dans la formation de protéines. L’exome, la partie du génome qui contient les exons, ne représente qu’un peu plus de 1% du génome. Trouver l’aiguille dans la botte de foin moléculaire

Elizabeth A. Worthey est à la tête de l’équipe de généticiens qui séquencent l’ADN de l’exome de Nicholas, c’est à dire qui déchiffre toutes les lettres qui le composent. Même si l’exome est beaucoup plus petit que le génome complet, les généticiens s’attendent tout de même à trouver à peu près 20 000 différences entre la séquence de Nicholas et celle du génome humain de référence. Ils en trouvent finalement 16 124 de ces variations, aussi nommées « variants ».

La rareté et la sévérité de la maladie de Nic incitent les chercheurs à croire qu’il ne porte pas de copie saine du gène muté ; il doit être homozygote pour ce gène (les deux copies qu’il porte sont mutées) ou hémizygote (il ne porte qu’une copie de ce gène, et cette copie est mutée). Chez les garçons, la majorité des gènes du chromosome X sont hémizygotes, puisqu’ils n’ont qu’un seul chromosome X (qui s’apparie avec leur chromosome Y). Avec ce nouveau critère, il reste tout de même 70 candidats.

Les généticiens utilisent ensuite des programmes informatiques qui permettent de prédire quels variants ont des effets négatifs sur la protéine qu’ils codent. Seuls 17 variants modifient sensiblement la protéine dans laquelle ils se trouvent. Vu la sévérité de la maladie de Nic, les chercheurs estiment que le variant qui cause sa maladie serait trop délétère pour être courant dans les populations humaines. Des 17 variants qui restaient sur leur liste, seuls huit ne sont présents dans aucun des 2000 génomes humains séquencés qui leur sont disponibles en 2009. Ils cherchent ensuite ces huit variants dans l’ADN d’autres espèces animales : le rat, la souris, la poule, le bœuf, la drosophile, le poisson zèbre, et quelques autres. Ils s’attendent à ce que des mutations bénignes puissent exister dans d’autres espèces, mais qu’une mutation ayant des effets aussi grave que la maladie de Nic serait absente. Seules deux mutations n’apparaissent dans le génome d’aucun animal. Des deux variants finaux, l’un est dans un gène dans lequel des mutations apparaissent fréquemment chez des humains, sans effet majeur sur la santé des porteurs. Finalement, les chercheurs identifient le défaut génétique qui cause la maladie de Nic : Une substitution d’un G pour un A dans un gène nommé XIAP, ou X-linked inhibitor of apoptosis. XIAP, un suspect inattendu

Avant le séquençage, les chercheurs avaient écumé les recherches scientifiques existantes afin de dresser une liste de gènes qui pourraient être affectés et causer les symptômes d’inflammation des intestins de Nic. Le docteur Worthey avait ainsi colligé une liste de 2004 candidats possibles, parmi les 25 000 gènes présents dans chaque humain. Étonnamment, le gène XIAP ne figurait pas sur cette liste. Elizabeth Worthey en conclut qu’une approche ciblée, plutôt que l’approche large que constitue le séquençage de l’exome, n’aurait pas permis de trouver la maladie de Nic.

Le gène XIAP produit une protéine qui inhibe la mort programmée, ou apoptose, des cellules. Des tests ont démontré que les cellules de Nic mourraient en plus grand nombre que des cellules témoins placées dans les mêmes conditions. La protéine XIAP joue aussi un rôle dans la communication entre les cellules. Cette signalisation était déficiente dans les cellules de Nic.

La mutation dans le gène XIAP révèle que Nic souffre, en plus de sa maladie inflammatoire des intestins, d’une seconde maladie extrêmement rare nommée XLP2, ou « X-linked lymphoproliferative disease». Bien que la mutation observée chez Nic soit unique, elle affecte la même protéine mutée chez les enfants souffrant de XLP2. Ce défaut génétique très rare (un cas sur un million) se trouve sur le chromosome X, et n’affecte que des garçons. Elle les rend anormalement vulnérables à un des virus les plus communs chez les humains, le virus Epstein-Barr : l’infection est mortelle pour eux.

Il existe un traitement pour la maladie XLP : Il s’agit de remplacer une partie du système immunitaire de Nic. C'est ce que Nic subit à l'âge de 5 ans et 8 mois. C’est un traitement dangereux, puisqu’il faut en premier lieu éliminer son système immunitaire défectueux par une chimiothérapie : on élimine ainsi les cellules de sa moelle osseuse qui produisait les cellules sanguines médiatrices de l’immunité. Ensuite, on procède à une greffe de sang de cordon ombilical pour réimplanter, dans la moelle osseuse, des cellules capables de produire des cellules sanguines normales. Après la destruction de son système immunitaire, et avant que les cellules de du sang de cordon ne soient implantées et produisent de nouvelles cellules, Nic est extrêmement vulnérable à toutes les infections. Il les battra toutes, incluant une encéphalite grave.

Enfin guéri, Nic sort de l’hôpital 99 jours après la greffe de sang de cordon

Que fait le petit Nic, lorsqu’il rencontre Howard Jacobs, l’homme qui a permis le séquençage de ses gènes qui lui a ultimement sauvé sa vie? Il lui demande s’il est un dur (« Are you tough? ») et lui donne un (petit) coup de bâton dans le ventre. Bref, il agit comme un enfant normal, pas toujours comme on le voudrait.

Liens (malheureusement tous en anglais – l’histoire se passe aux Etats-Unis):

Article scientifique original publié dans la revue Genetics in Medecine http://journals.lww.com/geneticsinmedicine/Documents/GIM200819_Revised.pdf

Commentaire sur l’article scientifique précédent dans Genetics in Medecine http://journals.lww.com/geneticsinmedicine/Documents/GIM200824_Revised.pdf (dans cet article, on discute des implications éthiques du séquençage complet de l’exome d’un patient)

Dossier (en anglais) extrêmement bien documenté qui rapporte l’histoire du petit Nic Volker dans le Milwaukee Wisconsin Journal Sentinel. On y retrouve des entrevues avec tous les acteurs, des graphiques qui expliquent les techniques utilisées… Les journalistes sont Mark Johnson et Kathleen Gallagher, le photographe Gary Porter et la vidéaste, Alison Sherwood. À consulter absolument! http://www.jsonline.com/features/health/111224104.html

Entrevue avec les parents de Nicolas Volker http://today.msnbc.msn.com/id/26184891/vp/40749450#40749450

Plus d’information sur la maladie XLP http://ghr.nlm.nih.gov/condition/x-linked-lymphoproliferative-disease

Julie Poupart – équipe info génétique - pour

Ce billet a été écrit dans le cadre d'un travail d'équipe pour le cours RED2301 - Problèmes de vulgarisation, donné par Pascal Lapointe, à l'Université de Montréal à la session d'hiver 2011.

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