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À cause de la contamination de leur eau au TCE dans le passé, des habitants de Shannon intentent un recours collectif. Une partie de la preuve repose sur une analyse innovatrice, mais sujette à contestation.

Depuis la mi-janvier 2011, le juge Bernard Godbout entend à Québec les témoins dans le recours collectif qu’ont intenté des habitants de Shannon, petite municipalité située près de la base militaire de Valcartier. Le motif ? Le TCE (trichloroethylène), un dégraisseur industriel hautement toxique, utilisé à la base et dans la recherche militaire, aurait contaminé la nappe phréatique et causé un nombre anormal de cancers.

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Cette affaire fait les manchettes depuis plusieurs années déjà et je ne veux pas m’attarder à ses détails. Elle a d’ailleurs fait l’objet d’un reportage à l’émission Enquête de la télévision de Radio-Canada le 29 janvier 2009 et on peu suivre le déroulement de recours collectif sur le site Internet du journal Le Soleil. On ne peut qu’éprouver de la sympathie à l’égard de ces gens en prenant connaissance des faits. Toutefois, l’issue d’un procès ne repose pas sur la sympathie, mais sur la preuve qui y est présentée.

Comment en faire la preuve L’existence des cancers ne devrait pas être difficile à prouver, car le juge pourra recevoir le témoignage des présumées victimes ou examiner leurs dossiers médicaux. Toutefois, la poursuite devra aussi établir le lien entre ces cancers et le TCE, ce qui s’annonce plus compliqué, les opinions étant partagées sur ce point.

Des recherches à partir de marqueurs génétiques ont donné certains résultats au cours des dernières années, mais leurs conclusions ne sont pas assez précises pour être appliquées à Shannon. On retrouvera, dans l’étude de l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) mentionnée ci-dessous, les références à ces recherches et un résumé de leurs conclusions.

Une approche innovatrice… Cependant, dans un rapport publié en 2009, les docteurs Sidney Finkelstein et Michel Charbonneau ont décrit la nouvelle méthode d’analyse qui a été utilisée pour établir ce lien causal entre le cancer et l’exposition au TCE chez les gens de la population de Shannon. Pour ce faire, ils ont d’abord déterminé le nombre de mutations d’allèles normaux dans les cellules tumorales. Puis ils ont calculé un rapport mathématique entre ce nombre et celui de marqueurs informatifs identifiés sur le chromosome 3. Si ce rapport dépassait 0,3, ils concluaient à l'existence d'un lien de causalité.

… mais non validée L’INSPQ a analysé le rapport des médecins. Selon elle, le problème réside dans le fait qu'ils n'auraient pas procédé à la validation de l’établissement du lien causal, lorsque le rapport mathématique mentionné auparavant dépasse 0,3, en utilisant une approche méthodologique reconnue en science, particulièrement en épidémiologie. Pour ce faire, selon l’INSPQ, l’analyse « devrait être réalisée sur un nombre significatif de tissus de cancers provenant de sujets non exposés au TCE […]. Les résultats obtenus devraient être ensuite comparés avec les résultats des résidants de Shannon. Pour procéder à l’analyse, il serait important de tenir compte des types de cancers développés par les résidants de Shannon dont les tissus ont été analysés à l’aide de l’approche proposée. De préférence, les tissus analysés devraient provenir de sujets québécois. Les résultats d’une telle analyse devraient être ensuite publiés en vue d’une évaluation par les pairs. »

Le Soleil rapporte que, dans son contre-interrogatoire en cour, le 16 mars 2011, – il avait témoigné la veille – le docteur Finkelstein a reconnu qu’aucun article scientifique ne soutient encore sa méthode. Et il a précisé qu’il vient justement de soumettre un article pour évaluation par les pairs.

Réflexions La génétique ne fonctionne pas en vase clos. Les analyses faites par le docteur Finkelstein ont beau avoir été faites correctement – elles ne sont pas elles-mêmes contestées –, elles s’inscrivent dans un champ plus large, celui de l’épidémiologie. Et il ne semble pas que les prescriptions de cette dernière science aient été observées.

Selon l’INSPQ, le facteur de 0,3 est habituellement employé en clinique pour déterminer la gravité d’un cancer et formuler un pronostic et cela, pour décider de l'orientation du traitement, mais non pour établir un lien de causalité avec un facteur de risque. Le fait d’utiliser autrement que dans leur champ d’application habituel des concepts scientifiques ne peut que fragiliser la preuve.

La validation de découvertes ou de nouvelles méthodes scientifiques par les pairs est un processus reconnu en science et pratiqué de façon extensive. C’est vrai qu’il prend du temps et est ardu, mais le négliger revient pratiquement, pour un chercheur, à faire en sorte que ses découvertes ne soient pas reconnues par le milieu.

Conclusion Comme beaucoup, je suis sympathique à la cause des gens de Shannon. Cependant, je déplore que, sur le plan scientifique, les conclusions des docteurs Finkelstein et Charbonneau comportent des faiblesses. Est-ce que, malgré tout, elles tiendront devant le juge Godbout ? C’est à suivre…

Jean-Luc Beauregard

Ce billet a été écrit dans le cadre d'un travail d'équipe pour le cours RED2301 - Problèmes de vulgarisation, donné par Pascal Lapointe, à l'Université de Montréal à la session d'hiver 2011.

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