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Cette phrase, attribuée à Louis Pasteur, illustre une de ses plus grandes découvertes. Dans les années 1840, alors qu'il débutait sa carrière scientifique, Pasteur jeta les bases de la stéréochimie –la chimie en 3-D– en expliquant pourquoi deux molécules présentant le même nombre d'atomes et les mêmes connectivités entre leurs atomes pouvaient avoir des propriétés différentes.

Comme l’histoire se passe en France, il n’est pas surprenant qu’elle fasse intervenir le vin. Les scientifiques de l’époque avaient isolé deux formes cristallines d’une molécule du vin, l’acide tartrique. L’une, très courante, est celle que l’on retrouve souvent au fond de son verre lorsqu’on a ouvert une vieille bouteille. Poétiquement, les œnologues appellent ces cristaux, les «diamants du vin». Les scientifiques, pour leur part, leur avaient plus prosaïquement donné le nom de tartrate. Mais une autre forme –plus rare, celle-là– existe aussi. On la retrouve parfois, non dans les bouteilles, mais au fond des barils. D’abord appelée acide racémique (de racémus, grappe de raisin), on rebaptisa du nom de paratartrate cette forme cristalline. Les deux formes avaient les mêmes propriétés chimiques, mais différaient l’une de l’autre à l'égard de la lumière polarisée, soit la lumière dont les vibrations électromagnétiques se font dans un seul plan au lieu d’être distribuées tout autour de l’axe de transmission. Une solution de tartrate permettait de faire dévier le plan de polarisation vers la droite, alors que, dans le cas du paratartrate, aucune déviation ne se produisait. Une énigme qui laissait les scientifiques perplexes et que le jeune Pasteur décida de résoudre.

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Avec une intuition de génie, il postula que le paratartrate est, en fait, composé de deux formes cristallines asymétriques, dont l'une est l'image miroir de l’autre (voir ci-haut). L'une des formes était le tartrate, mentionné plus haut, dont une solution fait dévier la lumière polarisée vers la droite (la forme dextrogyre). Une solution de l’autre forme, dite lévogyre, fait dévier la lumière polarisée vers la gauche. Ces deux formes étant présentes en quantités égales dans le paratartrate, cela explique pourquoi aucune déviation de la lumière polarisée n’est observée. Travaillant au microscope, Pasteur vérifia non seulement que les deux formes cristallines étaient présentes, mais il les sépara laborieusement en deux piles distinctes. Et comme il l’avait prédit, une des piles donna une solution lévogyre, et l’autre, une solution dextrogyre. Il démontra par ailleurs que les cristaux de la solution dextrogyre étaient identiques à ceux du tartrate et qu’une solution des deux cristaux présents en quantités égales ne faisait pas dévier la lumière polarisée.

Grâce à cette expérience, Pasteur jeta les bases de la dissymétrie moléculaire. Certaines molécules identiques sous tous les autres points peuvent exister en deux formes, dites énantiomères, qui sont des images l’une de l’autre dans un miroir. Il faut dire que la chance avait souri à Pasteur pour cette découverte. Tout d’abord, il est rare qu’à l’instar de l’acide tartrique, des énantiomères cristallisent sous deux formes visiblement distinctes. D’autre part, heureusement que le laboratoire de Pasteur n’était pas chauffé, car, à plus haute température, il ne lui aurait pas été possible de distinguer les deux formes de paratartrate. Lorsqu’on fit la remarque à Pasteur qu’il devait sa découverte à la chance, ce dernier répondit de manière appropriée: «La chance ne sourit qu'aux esprits bien préparés.»*

À la suite de sa découverte, Pasteur se laissa aller à des considérations plus philosophiques que scientifiques. La dissymétrie devint un acte de foi. Pour lui, la dissymétrie, incarnation de la vie, serait créée par des forces cosmiques qui agiraient sur l’Univers. Dans cette lancée, il mena des séries d’expériences dans le but de créer la vie à partir de substances dissymétriques. Heureusement, ses travaux lui permirent de se rendre compte qu’il était impossible d’engendrer la vie dans ces conditions. Une observation qui lui permit plus tard de faire les expériences qui mirent fin à la théorie de la génération spontanée.

La théorie de Pasteur voulant que la dissymétrie soit seulement le produit du vivant est aujourd’hui contredite par l’existence de nombreuses molécules qui, bien produites en laboratoire, sont dissymétriques et qui peuvent donc exister sous des formes énantiomèriques (images-miroir). Comme nous l'avons précisé plus haut, ces paires énantiomèriques ont les mêmes propriétés chimiques. Mais ce n’est pas le cas lorsqu'elles réagissent avec des espèces qui sont elles-mêmes dissymétriques. Un concept important dans le mode de fonctionnement de beaucoup de médicaments.

Imaginez que le médicament en question soit une clef. Pour produire l’effet désirable, cette clef doit ouvrir une porte fermée par une serrure. Mais la clef doit avoir la bonne symétrie pour pénétrer dans la serrure. L’image miroir de la clef ne fonctionnerait pas. Alors que la nature est très efficace pour produire des énantiomères cent pour cent purs (la bonne clef), les chimistes de l’industrie pharmaceutique, eux, produisent normalement un mélange à parts égales des deux énantiomères (deux clefs). De façons imagées, on peut dire que les deux formes de clefs sont créées, alors que seulement l’une d’entre elles est efficace. Ceci peut être un problème lorsque l’autre clef (image-miroir) ouvre d’autres portes qui, elles, sont responsables d’effets secondaires. Pour éviter ces problèmes, il y a toute une branche de l’industrie pharmaceutique qui se consacre à imiter la nature et à créer seulement l’énantiomère (la clef) désiré de la molécule.

Dans le cas de la thalidomide, sujet que j’ai couvert la semaine dernière, la molécule est dissymétrique et existe donc sous la forme de deux énantiomères, un dextrogyre, l’autre lévogyre. Ce que l’on ne savait pas à l’époque, c’est que seul l’énantiomère lévogyre est tératogène et que les propriétés sédatives du médicament sont dues à la forme dextrogyre. Ce qui a amené certaines personnes à penser, à tort, que si seule la forme dextrogyre avait été employée, la tragédie n’aurait pas eu lieu. En fait, in vivo, il y a introconversion. Les deux énantiomères sont éventuellement présents et, malheureusement, le résultat aurait été le même.

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*Une autre citation de Pasteur que certains apprécieront: «Il y a plus de philosophie dans une bouteille de vin que dans tous les livres».

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