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Pierre Dansereau est surtout connu comme pionnier de l’écologie et du travail interdisciplinaire en environnement. En prenant connaissance de sa contribution à la discipline de l’écologie humaine, on découvre également le grand engagement humaniste de « l’écologiste aux pieds nus » ; et il suffit de jeter un coup d’œil sur le parcours professionnel de Dansereau pour constater l’envergure de l’homme.

Fondateur du service de biogéographie de l’Université de Montréal dans les années quarante, il devient en 1950 Professeur d’écologie à l’Université Ann Arbor (Michigan) où il rédigera son principal ouvrage d’écologie scientifique (Biogeography. An ecological perspective, 1957), puis revient à l’Université de Montréal en 1955 comme Doyen de la Faculté des Arts. C’est dans les années soixante, alors qu’il s’installe à New York pour enseigner à l’Université Colombia et codiriger le Jardin botanique de New York, que Dansereau commencera véritablement à élaborer son écologie humaine. Il reviendra à l’Université de Montréal en 1968, puis passera à l’Université du Québec à Montréal en 1971 où il sera nommé Professeur Émérite en 1989.

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Parmi les derniers « disciples » de Marie-Victorin, Dansereau a côtoyé les plus grands scientifiques de sa génération, dont Jacques Rousseau, aussi récemment disparu. Il fut aussi le maître de nombreux scientifiques de l’environnement actifs aujourd’hui, et ce tant en sciences naturelles qu’en sciences sociales.

C’est d’ailleurs largement le thème de l’interdisciplinarité que l’on retient de son œuvre. S’étant très tôt convaincu, à l’instar d’écologues américains tels les frères Odums, que les écosystèmes ne pouvaient s’analyser sans reconnaître la place centrale qui jouent les êtres humains, Dansereau fut parmi les fondateurs de l’écologie humaine.

En outre, son schéma de la « boule de flèche », qui représente la multidirectionnalité des échanges de matière et d’énergie entre les différentes strates des écosystèmes ainsi que les écosystèmes voisins, pose l’existence des « niveaux trophiques » de l’investissement et du contrôle qui caractérisent fortement l’activité humaine et les écosystèmes urbains. C’est notamment à travers celui du contrôle, ou « noösphère », que les sociétés exercent leur influence sur les différents processus trophiques. Dansereau en fait d’ailleurs l’histoire, au tout début de sa démarche d’écologie humaine, à travers l’analyse des phases successives de l’escalade de l’impact humain sur l’environnement, et où il affirme que la phase actuelle est « essentiellement psycho-sociale, en ce sens qu’elle engage d’une façon nouvelle la perception du savoir qu’ont les individus, et en ce qu’elle leur offre en même temps des moyens sans précédents d’élargir leur expérience ».

En somme, à l’issu de ses analyses sur l’escalade de l’impact humain, le défi identifié est d’ordre philosophique, psychologique et sociologique : il s’agit de transformer la société à partir d’une prise de conscience collective. Ne possédant pas de mot d’écologue pour décrire cette réalité, Dansereau livre alors la belle image du « paysage intérieur » – une métaphore qui invite à la réflexion sur les valeurs qui animent nos interactions avec le milieu naturel, et sur nos perceptions de celui-ci.

Inévitablement, dit-il, l’examen de notre paysage intérieur collectif nous oblige à « nous poser des questions au sujet de la qualité et de la sélectivité de [nos] perceptions d’une part, et de la force toujours croissante de [notre] pouvoir d’intervention d’autre part ».

Il convient d’apprécier aujourd’hui le chemin parcouru depuis les années soixante-dix, alors que Dansereau proposait pour la première fois cette idée de paysage intérieur. Autour de Montréal, le Fleuve St-Laurent se porte mieux qu’à l’époque. La qualité de l’air y est meilleure. Les québécois accomplissent aujourd’hui, quotidiennement, des dizaines de petits gestes qui n’allaient pas de soi auparavant et qui font une différence, ne serait-ce que le trie des déchets. Les enfants apprennent le sens du développement durable dans leurs premières années d’école.

Individuellement et collectivement, les québécois ont évolué. La conscience de la crise écologique s’est aiguisée. Pourtant, nos intentions et nos accomplissements, en matière d’environnement, sont encore largement en contradiction. Le plus bel exemple étant le rythme effréné de notre consommation de biens superflus, cette « vaste conspiration de la réclame ».

Ce mode de consommation, expliquait Dansereau, constitue une forme de contrôle que nous exerçons sur des écosystèmes éloignés, où sont extrudées les ressources et déversés les déchets de la production. Cette consommation engendre ce qu’il est dorénavant convenu d’appeler des injustices écologiques.

Or, à l’heure où les scientifiques s’entendent pour affirmer que l’apparition de l’humanité sur Terre a littéralement provoqué le passage à l’époque géologique de l’anthropocène – événement normalement provoqué par des changements brutaux dans les grands systèmes de la biosphère – il est devenu inévitable que les conséquences de notre mode de vie nous affecteront sans discrimination, par effet de retour.

L’enjeu de la crise écologique, en somme, demeure le même : réaménager notre paysage intérieur pour transformer notre rapport à la biosphère. Comment donc réaménager ce paysage intérieur? Laissons donc le dernier mot à l’écologiste aux pieds nus :

« Inventer l’avenir, c’est créer de nouvelles structures d’allocation et de gestion, et établir ce que j’ai appelé il y a plusieurs années l’austérité joyeuse, c’est-à-dire le consentement à de multiples contraintes que nous devrions nous imposer avant que nous ne soyons obligés de nous y soumettre […] Nous allons être obligés de nous serrer la ceinture si nous avons la ferme volonté d’arriver à un nouveau partage. Alors la diversité, la continuité et l’accord sont des conditions nécessaires. Il faut accepter les différences, respecter les héritages, ‘aménager’ les échanges. Alors que nous pouvons détruire et que nous voulons vivre, il faut que nous sachions construire. Choisir l’harmonie, la paix, la justice. »

*** Note : Toutes les citations de Dansereau sont tirées de La terre des hommes et le paysage intérieur, publié chez Leméac/Radio-Canada en 1973, à l’exception de la dernière, prise de L’envers et l’endroit. Le besoin le désir et la capacité, publié chez Musée de la civilisation/Éditions Fides en 1991. Le schéma de la boule de flèche a été tiré de Pierre Dansereau. 1987. « Les dimensions écologiques de l’espace urbain », dans Cahiers de géographie du Québec, vol 31, no 84, p. 333-395.

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