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Cette citation de l’écrivain Marcel Proust (1871-1922) illustre, pour certains, l’une des conséquences de la consommation d’asperges. En effet, après en avoir mangé, l’urine de ces personnes dégage une odeur caractéristique et inoubliable.

Comme en fait foi une fresque égyptienne datant de 3000 ans avant notre ère la montrant en offrande aux dieux, l’asperge est cultivée depuis des millénaires et était appréciée pour son goût délicat tant par les Grecs que les Romains. Elle l’était également par Madame de Pompadour, peut-être pour sa réputation d’aphrodisiaque qui lui venait de sa forme. À l’époque, les extrémités de l’asperge étaient appelées «pointes d’amour». Rédigé au 4e siècle, Apicius est considéré comme le plus ancien livre de cuisine, et contient d’ailleurs une recette pour la cuisson des asperges.

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Ce n’est qu’à partir du 18e siècle que l’on trouve des références à l’odeur de l’asperge dans l’urine. Dans Essai sur la nature des aliments (1735), le médecin britannique John Arbuthnot décrit l’odeur «fétide» qui en émane et, à partir du 19e siècle, cette donnée est attestée par de nombreux auteurs. Pierre Larousse, dans le Grand dictionnaire universel de 1866, indique que «[…] tout le monde connait l’odeur fétide qu’elle communique à l’urine». Mais, à cet égard, monsieur Larousse n’avait pas entièrement raison, car cette conséquence n’est pas universelle.

La première investigation scientifique sérieuse à ce sujet a été conduite en 1956 par des chercheurs de l’Université d’Oxford. Ils ont recueilli l’urine de 115 individus ayant mangé des asperges. Les tests –qui excluaient l’odorat– ont révélé que 46 échantillons contenaient du méthanethiol, un composé soufré odoriférant. Quant aux échantillons prélevés auprès des 69 autres sujets, ce composé en était absent*. Cette observation a amené les chercheurs à inscrire les sujets dans l’une de deux catégories, soit «excréteurs» et «non excréteurs», considérant que l’odeur dégagée de l’échantillon était d’origine génétique. En 1956 aussi, des chercheurs israéliens ont mené une étude similaire mais, en y incluant le critère de l’odorat. Les sujets avaient à sentir leur propre urine et également celle des autres participants. Les individus capables de reconnaitre l’odeur de l’asperge dans leur urine pouvaient faire de même pour celle des autres sujets, qui en étaient parfois eux-mêmes incapables. Les chercheurs ont ainsi conclu que la capacité de percevoir l’odeur elle aussi est génétique.

Depuis, de nombreuses études ont produit des résultats variés. En 1987, des chercheurs britanniques ont recueilli l’urine de plus de 800 sujets, lesquels ont ensuite été soumis à un test olfactif. Des «juges» ont été entraînés à en reconnaître l’odeur caractéristique et celle-ci a été perçue dans seulement la moitié des échantillons recueillis. Une fois de plus, il a été conclu que c'est la production de l'odeur qui était d’origine génétique. En revanche, une étude conduite à l’Université de Strasbourg auprès de 103 sujets a elle montré qu'ils étaient eux tous capables de produire l'odeur; un résultat suggérant des variations «ethniques» dans les capacités de production.

Finalement en 2010, les recherches du Monell Chemical Senses Center de Philadelphie ont indiqué que la production de l’odeur est quasi universelle, mais que les quantités de molécules produites varient d'un individu à l'autre. Ce qui est intéressant dans ces travaux c'est que les chercheurs ont confirmé que non seulement c'est la perception de l’odeur qui était d'origine génétique, mais ils sont également arrivés à en identifier le gène responsable.

Quoi qu’il en soit, la présence ou l’absence de cette odeur n’a aucune incidence sur la santé. Et si l’odeur n’a aucune importance, la consommation de l’asperge en a néanmoins une qui est positive. Faible en calories et en sodium, l’asperge est également une source d’éléments minéraux comme le fer, le magnésium, le zinc et la vitamine. Donc que vous soyez des bons "excréteurs" ou pas, que vous soyez capable de percevoir l'odeur ou non, ne vous en privez pas. ___

*Depuis, outre le méthanethiol, plus de deux douzaines de composés soufrés ont été recueillis dans l’urine de sujets. Il a été démontré que tous sont des produits de dégradation de l’acide asparagusique, le seul composé soufré naturellement présent dans l’asperge. Le métabolisme de l’acide asparagusique est particulièrement rapide, l’odeur s’en dégageant 15 minutes après l’ingestion.

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