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Une des façons de faire comprendre au public comment se construit la science, est d’insister sur la différence entre une opinion et un fait. Et une façon simple d’y arriver est de faire prendre conscience qu’en science, il y a davantage de mots qu’on l’imagine qui n’ont pas le même sens que dans le « vrai monde ».

Le fameux consensus, par exemple, source de tant d’incompréhensions dans le dossier climat. En politique, 97% d’une communauté aurait beau être d’accord sur une décision à prendre, ça ne se qualifierait pas comme un consensus. En science, oui. Parce qu’en science, il n’y aura jamais unanimité et que la langue française n’a pas inventé un mot pour « quelque chose dont la probabilité est tellement infime que ça ne vaut même pas la peine d’en parler ».

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Demandez à un scientifique s’il est possible de gagner une loterie nationale, peu importe laquelle, deux semaines d’affilée. Il vous répondra : « c’est hautement improbable ». Avec cette réponse, seriez-vous autorisé à écrire dans le journal du lendemain : « un scientifique affirme qu’il est possible de gagner à la loterie deux semaines d’affilée »?

Allons-y d’une de ces listes dont les humoristes sont friands : « quand il dit ça / ça veut dire ça ».

Quand un scientifique dit... ça veut dire...

Si un scientifique dit incertitude... le public comprend ignorance. Il devrait plutôt parler d’une fourchette de possibilités.

Il dit théorie? Le public entend intuition, voire devinette, alors que ça peut aussi bien référer à un bagage de connaissances embryonnaire qu’à un immense bagage accumulé depuis deux siècles. Ce qui nous renvoie à la différence entre l’opinion —je pense que ma théorie mérite d’être davantage étudiée— et le fait —la « théorie » de l’évolution.

Même subtilité derrière une estimation, qui peut être basée sur un immense bagage de connaissances... alors que le public, lui, peut très bien avoir compris devinette, intuition.

Vous croyez qu’il en est autrement avec hypothèse, qu’on a appris dans les cours de science à l’école? Une bonne partie du langage populaire l’associe aussi à une vague intuition.

Il dit biais... Le public entend : motivations politiques. Il dit manipuler... Le public entend : illicite ou immoral. Alors qu’on parle ici de la façon dont sont traitées les données brutes, dans le but de leur donner un sens.

Revenons au thème premier de cette série de textes : expliquer comment se construit la science. C’est, entre autres, expliquer pourquoi et comment la récolte des données brutes peut être biaisée, même involontairement : il y avait trop de personnes âgées dans le groupe testé, il y avait trop d’étoiles géantes rouges, il y avait trop de chiens et pas assez de chats... Ou bien, dans son enquête, le chercheur a posé une question qui a été mal interprétée, mais on ne s’est aperçu du biais que cela introduisait que lorsqu'est venu le moment de traiter les données.

D’où l’importance de faire comprendre ce qu’est véritablement un biais, dans le contexte d’une récolte de données, par opposition à un biais politique ou idéologique.

Du même souffle, expliquer au public qu’il y a bel et bien des scientifiques qui fraudent, qui trichent, qui trompent, prend tout son sens ici, pour les journalistes : cela permet d’expliquer comment il leur est possible de volontairement manipuler leurs données... et pourquoi d’autres chercheurs vont s’en apercevoir tôt ou tard en examinant de plus près ces mêmes données.

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Vous trouverez d’autres exemples d'écarts entre le vocabulaire courant et celui des scientifiques, grâce aux climatologues Richard Somerville et Susan Joy Hassol, dans l’édition d’octobre de Physics Today .

Et surtout, grâce au biologiste et blogueur Andrew Thaler, qui a élargi cette liste avec ses étudiants, puis a créé un document Google Docs.

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La série de billets La construction de la science pour les nuls:

1 – Comment distinguer une opinion d’un fait 2 – Le vide à mouvement perpétuel 3 – La victoire de l’opinion 4 – Quand un scientifique dit blanc, il veut dire beige! 5 – Le syndrome de la recherche unique 6 – Le syndrome de la découverte

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