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Le Dr Calhoun faisait face à une tragédie. Déjà six de ses patients étaient décédés et il venait de se rendre compte que c’était le médicament qu’il leur avait prescrit qui était responsable.

Nous sommes à l’automne 1937, et une épidémie d’infections streptococciques fait rage au Tennessee, où pratique le Dr Calhoun. La sulfanilamide, sous forme de comprimés ou de poudre, était le traitement de choix pour ce genre d’infection avec d’excellents résultats. Mais en juin de cette année-là, un représentant de la société pharmaceutique S.E. Massengill Co. suggéra que le produit se vendrait mieux s’il était offert sous forme liquide.

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Le chimiste en chef –et pharmacien– Harold Cole Watkins se mit immédiatement au travail. Après plusieurs essais, il détermina que la sulfanilamide était soluble dans l’éthylène glycol. Il envoya ensuite le mélange au laboratoire de contrôle de qualité. Ce dernier vérifia que l’apparence et le goût étaient acceptables et, sur cette base, autorisa l’envoi de cet «Élixir de sulfanilamide» partout au pays. Mais cela sans que l’élixir ait été testé pour démontrer son innocuité, car, à l’époque, cela n’était pas obligatoire.

Vendre des médicaments toxiques n’était pas une bonne chose pour la réputation d’une compagnie, mais, bien que cela soit difficile à croire, ce n’était pas illégal… dans la mesure où il ne s’agissait pas d’une action délibérée. Watkins avait omis de faire les tests pharmacologiques nécessaires. Si cela avait été le cas, il se serait rapidement rendu compte que le glycol d’éthylène, un antigel, est un violent poison.

Les premiers envois de l’élixir se firent début septembre et, dès la mi-octobre, l’American Medical Association (AMA) fit le lien entre un nombre de décès inexpliqués et cette nouvelle formulation de sulfanilamide. Après que le laboratoire de l’AMA ait confirmé que le glycol d’éthylène était responsable de ces décès, une campagne de rappel à grande échelle fut organisée par la FDA dans tout le pays. Mais c’était trop tard pour près de 100 personnes déjà décédées.

De simples tests sur des animaux, ou même une revue de la littérature scientifique, auraient mis en évidence les dangers du glycol d’éthylène. Malheureusement, cela n’était pas requis par la loi. En fait, le rappel de l’élixir ne se fit pas sur la base de son danger, mais du fait de son étiquetage. La mention «Élixir de sulfanilamide» implique la présence d’alcool, alors que le produit n’en contenait pas. Si les flacons avaient indiqué «Solution de sulfanilamide», la FDA n’aurait pas eu l’autorité pour saisir les contenants.

Le Dr Massengill, propriétaire de la compagnie pharmaceutique, refusa d’accepter quelque blâme que ce soit, déclarant « …je regrette cette tragédie, mais comme aucune erreur n’a été commise dans la préparation du produit, je ne peux accepter aucune responsabilité», un avis non partagé par le chimiste en chef Harold Cole Watkins. Celui-ci se suicida après s’être rendu compte de l’ampleur du désastre.

L’affaire de l’élixir de sulfanilamide eut un aspect positif : elle accéléra l’adoption de la loi sur l’alimentation, les médicaments et les cosmétiques (Food, Drug and Cosmetic Act) de 1938. Depuis, avant d’obtenir la permission de mettre les médicaments sur le marché, les sociétés pharmaceutiques sont tenues d’effectuer des tests d’innocuité sur des animaux et de les soumettre à la FDA pour vérification.

Quant à la compagnie Massengill, elle écopa d’une amende pour publicité mensongère… impliquant la présence d’alcool dans l’élixir alors qu’il n’y en avait pas!

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