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L’histoire de la découverte de la pénicilline a des aspects mythiques. L’image de moisissures flottant à travers la fenêtre ouverte d’Alexandre Fleming et qui contaminent accidentellement une culture de microbes est certainement accrocheuse, mais pas conforme à la réalité.

En fait, on doit la pénicilline non seulement à Alexandre Fleming qui, contrairement à ce que l’on pense, ne l’a pas «découverte» mais à la suite d’heureux concours de circonstances, accompagné de beaucoup d'efforts et d’années de recherche effectuée par de nombreux scientifiques, des deux côtés de l'Atlantique.

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L’histoire commence en novembre 1921 dans le laboratoire d’Alexandre Fleming, à l’hôpital St. Mary’s de Londres. Fleming, qui a alors un rhume, contamine accidentellement, avec une goutte de son nez, les colonies de bactéries qu’il étudiait.

À sa surprise, il constate qu’au contact de son mucus, les bactéries ont perdu leur paroi cellulaire et se sont dissoutes. Il répète l’expérience avec des larmes et obtient le même résultat. Il en conclut que les sécrétions nasales et les larmes contiennent un composé antibactérien qu’il appelle lysozyme. Malheureusement, il découvre que le lysozyme, un enzyme, est d’une efficacité limitée comme agent antibactérien. Fleming décide alors de centrer ses recherches sur les moyens que le corps utilise pour organiser son propre système de défense contre les bactéries. Il se tourne vers la mise au point de vaccins.

Nous sommes maintenant à l’été de 1928. Fleming travaille sur des cultures de staphylocoques, une bactérie particulièrement virulente. Avec le retour des beaux jours, il décide de prendre des vacances. La chance voulut qu’avant son départ, il oublie de nettoyer les boîtes de Petri contenant les bactéries. À son retour, il remarque que l’une des boîtes de culture de staphylocoques qui s’y trouvait avait été contaminée par une moisissure. Il s’agissait d’une occurrence fréquente. Mais ce qui était inattendu, c'est qu'au contact de la moisissure, les bactéries de staphylococcus avaient été détruites. Il s’agit du même effet observé avec que le lysozyme, cette fois, sur des bactéries pathogènes.

Contrairement à la légende, la moisissure, identifiée comme faisant partie de la variété penicillium notatum, ne venait pas de l’extérieur. À l’étage d’en dessous se trouvait un laboratoire de mycologie poursuivant des études sur les effets allergènes de cette moisissure. La chance voulut que des spores de penicillium notatum s’en soient échappées pour s'infiltrer dans le laboratoire de Fleming en passant par la cage d’escalier. Fleming remarque que des extraits de penicillium notatum agissent in vitro pour contrer une variété de bactéries. Ces extraits détruisent non seulement les staphylocoques, mais aussi les pathogènes responsables de la scarlatine, de la pneumonie, de la méningite et de la diphtérie. Malheureusement, Fleming n’a pas alors les moyens et les connaissances pour extraire l’ingrédient actif, la molécule, responsable de l’activité de la moisissure. Fleming laisse tomber ses recherches sur le penicillium notatum et retourne à ses travaux sur les vaccins.

C'est seulement dix ans plus tard, en 1938, que deux autres scientifiques, Howard Florey, qui dirigent le laboratoire de pathologie de l'Université d'Oxford, et Ernst Chain, un jeune biochimiste d'origine juive, qui a fui l'Allemagne nazie, décident de s'attaquer de nouveau au problème. Après trois ans d'efforts, ils isolent assez de pénicilline relativement pure pour les premiers essais humains. Albert Alexander, un policier de 43 ans d'Oxford aux portes de la mort à cause d'une septicémie bactérienne, est le premier à en bénéficier. Après avoir été injecté avec la petite quantité de pénicilline disponible, son état s'améliore de manière radicale. Mais cela a nécessité l'utilisation de toute la pénicilline disponible. Quand l'état du policier s'aggrave à nouveau, les chercheurs extraient de l’urine du policier la pénicilline non métabolisée, la purifient et la réinjectent au patient. Encore une fois, son état s’améliore mais, éventuellement, cela ne suffit pas et Albert Alexander meurt.

Florey et son équipe se rendent compte que c’est seulement aux États-Unis qu’ils auront les moyens de mettre en œuvre la production de la pénicilline à grande échelle. En juin 1941, Florey, accompagné d'un autre biochimiste de talent, Norman Heatley, s’envole pour les États-Unis avec des échantillons de penicillium notatum. Ils établissent leur recherche à Peoria, dans l'Illinois, dans un laboratoire du ministère de l'Agriculture spécialisé dans les processus de fermentation. En quelques semaines, le laboratoire, sous la direction d'Andrew Moyer, introduit un nombre de techniques qui améliorent de manière considérable les rendements de la pénicilline. Moyer décide notamment d'utiliser, pour la fermentation, de «l'eau de maïs», un sous-produit de la préparation de l'amidon. Il remplace aussi la culture en surface de l'équipe d'Oxford par la culture en milieu submergé, beaucoup plus efficace. Mais Moyer se rend compte que ce dont il a vraiment besoin, c'est d'une souche de pénicilline plus performante. Il fait venir des échantillons du monde entier, mais, ironiquement, c'est Peoria qui lui fournit la souche recherchée. Une secrétaire du laboratoire à son heure de lunch remarque un melon moisi au marché aux fruits de Peoria. Sachant l'intérêt des chercheurs pour les moisissures, elle le ramène au laboratoire. La moisissure est identifiée comme étant du penicillium chrysogenum. Et les chercheurs découvrent qu'elle a la faculté de produire 200 fois plus de pénicilline que le penicillium notatum. À la suite de sa découverte, les chercheurs baptisent la secrétaire, Mary Hunt, «Moldy Mary» (Mary la moisissure).

Il devient dès alors possible de produire la pénicilline à l'échelle industrielle. Merck, Pfizer, Abbott et Squibb font partie d'un groupe de 21 laboratoires pharmaceutiques qui se partagent la tâche. En l'espace de quelques années, la production de pénicilline passe de bouteilles individuelles d'un litre et à des rendements de 0,0001% à des cuves de 50 000 litres et à des rendements de 90%. D'abord réservée à l'effort militaire, la pénicilline devient disponible à grande échelle à la fin des années 1940.

Depuis, la pénicilline –et ses dérivés– a sauvé la vie de millions de personnes. C’est grâce, bien sûr, à Alexandre Fleming, mais aussi à Howard Florey, Ernst Chain, Norman Heatley, Andrews Moyer, Mary Hunt et d'innombrables chercheurs en Grande-Bretagne et aux États-Unis.

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