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Les douces journées d’automne sont propices au travail manuel à l’extérieur: fendre et corder du bois, installer les fenêtres doubles, réparer une clôture, ramasser les feuilles, etc. Inspiré par les jaunes et rouges flamboyant des feuillages, on devient contemplatif et l’on se surprend souvent à faire des manipulations manuelles complexes sans y penser. C’est comme si nos mains «pensaient toutes seules», avaient leur intelligence propre.

Loin de n’être qu’un songe de travailleur du dimanche, l’aspect cognitif de notre dextérité manuelle est un sujet de plus en plus à l’ordre du jour en sciences cognitives. À preuve, l’ouvrage collectif The Hand, an Organ of the Mind: What the Manual Tells the Mental coordonné par Zdravko Radman, qui vient d’être publié au MIT Press. On y traite du lien intime entre mains et pensée tant sous l’angle neurophysiologique, philosophique ou évolutif que culturel ou même esthétique.

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L’aspect «incarné» de cette articulation main/pensée constitue toutefois un thème récurrent qui traverse tout l’ouvrage. Un chapitre rappelle par exemple que la main est la partie de notre corps la plus présente à notre système visuel. Si bien que l’hypothèse que le cerveau crée un espace visuel relativement stable centré sur la main semble être appuyée par diverses expériences (main vue par réflexion dans un miroir pour réduire les douleurs de membres fantômes, illusion de la main en caoutchouc, etc.). L’utilisation d’un outil que l’on manipule fréquemment affecte également la façon dont on interagit avec l’espace environnant, et ce phénomène est également abordé.

Dans une autre partie du bouquin, la main est examinée à l'aune de «l’énaction», ce type particulier de cognition incarnée proposé par Varela, Thompson et Rosch au début des années 1990. Shaun Gallagher y défend l’idée que le cerveau, les yeux et les mains forment un système global et que ce qu’on appelle la rationalité est quelque chose de foncièrement pratique et orienté par l’action. Il attire aussi l’attention sur l’espace «péripersonnel», c’est-à-dire l’espace à portée de main autour de nous qui nous aide à créer du sens grâce aux capacités exploratoires et démonstratives de la main. Andy Clark renforce cette idée que nos mains participent littéralement à notre pensée en rapportant une série de tâches cognitives que l’on accomplit avec plus de succès quand on peut gesticuler pour les résoudre.

Sans parler de tous les phénomènes de compréhension mutuelle entre individus que nos mains favorisent. Et cela, non seulement au niveau des gestes accompagnant notre langage verbal (ou même l’origine gestuelle possible de ce langage oral), mais également pour générer ou comprendre des aspects plus métaphoriques du langage parlé, quand ce n’est pas carrément l’utilisation des mains pour le langage signé des personnes sourdes (voir à ce sujet le second lien en encadré vers le cours de l'UPop Montréal sur les enjeux de la communauté Sourde).

De nombreux aspects plus pointus de cette approche énactive, de plus en plus populaire en sciences cognitives, sont aussi discutés, par exemple en comparant divers degrés de radicalité de cette thèse avec l’approche plus traditionnelle de représentation symbolique et de traitement de l’information. Ainsi, pour Etienne Roesch, le manque d’intégration de cette approche énactive qui permet de s’adapter constamment à de nouveaux environnements freine le développement de plusieurs disciplines, notamment la robotique. Sans elle, les bras des robots humanoïdes contrôlés par des algorithmes préprogrammés en fonction d’environnement connus à l’avance continueront de se comporter davantage avec la rigidité d’un robot de chaîne de montage qu’avec la souplesse d'une main humaine.

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