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Cru, le titre. Évocateur à tout le moins. Si les hommes se cachent pour mourir, ils ont aussi peu tendance à parler de leur maladie. Le cancer de la prostate n’échappe pas à la règle. Entre pudeur et gêne. Peur viscérale et virilité vacillante. La maladie touche les corps, meurtrit les sentiments. Pourtant, certains ont choisi de parler. Pour eux, pour les autres. Sur des blogues. À fleur de mots.

Pour l’auteur du blogue français Voyage avec mon cancer , le fait que cette «maladie touche à l’intime» explique le peu de communication de la part des patients. Entre libido en berne, impuissance ou incontinence urinaire, les effets de certains traitements n’invitent pas franchement à s’épancher. Une forme de culpabilité en paralyserait aussi certains.

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D’autres ont franchi le pas. Une expérience salvatrice, s’il en est. «Oui, ce blogue est devenu indispensable dans le cheminement de ma maladie. Quand vous rédigez une information sur un nouveau traitement et que vous êtes malade, le respect de vos lecteurs passe par l’exigence de la qualité de la recherche d’informations», explique l’instigateur du blogue Voyage avec mon cancer.

Pourquoi communiquer sur Internet? «Aujourd’hui, très peu de personnes font un choix sans s’informer des avis de consommateurs [sur Internet]. Un traitement médical n’est pas un objet usuel quelconque. Évidemment. Mais, du point de vue d’un malade, quand on pose des questions et qu’on ne trouve aucune réponse, l’angoisse se développe encore plus vite et les résultats [d’un traitement] seront moins efficaces. Le faible taux d’informations fiables stimule encore plus mon envie de communiquer.»

En ce sens, son blogue répond à un besoin: parler autrement de la maladie et la démystifier. Trop souvent, «le discours médical se veut rassurant et se limite à la gestion de la maladie. Un cancer va beaucoup plus loin dans l’intrusion du corps humain», indique l’homme de 53 ans atteint d’un cancer avancé depuis janvier 2012. Perte d’autonomie, souffrances physiques et douleurs mentales pour citer quelques «dommages collatéraux» que l’on a tendance à oublier.

Depuis août 2012, ce blogue s’adresse donc aux malades, à l’humain, plutôt qu’à la maladie. La valeur de l’écrit? Irremplaçable. Selon lui, «les malades se portent un regard entre eux qui est totalement différent du regard des médecins ou du regard externe. La confiance est de mise.» Les informations, obtenues d’une personne qui a vécu ce qu’elle raconte, apparaissent plus fiables. Partager son vécu, raconter son expérience. Entre échange et soutien réciproque, même si l’auteur le confie: les vrais échanges sont rares, malgré 150 connexions par jour. Les gens viennent, lisent et repartent. Et le cas de son blogue n’est pas une exception.

Un compagnon de voyage pesant Voyager avec mon cancer : étrange comme titre de blogue, non? «Le cancer n’est pas une maladie ordinaire. Il vous accompagne 24 h sur 24, ça devient un compagnon de route incontournable. Et, si on ne choisit pas toujours ses compagnons de voyage, pourtant, ils sont là et ne vous quittent pas. [...] Ce voyage pour quelques-uns restera un mauvais souvenir et pour d’autres sera le dernier. Ce n’est pas une métaphore littéraire, c’est très concrètement un cheminement avec des étapes, des moments de liberté et des obligations», explique le blogueur.

On ne combat pas vraiment le cancer. On voyage avec. On fait un bout de chemin. On lui laisse un peu moins de place. Ou on tire la couvert’ à soi. Un mariage bancal entre cellules saines et malades. Souvent, les patients le disent: le combat se fait contre soi-même pour survivre et surmonter le choc des traitements. Un parcours chaotique, une cohabitation bosselée de ces hauts et de ces bas où chacun mesure son envie de vivre, de se battre pour ceux qu’il aime.

Le blogue Vivre ma mort écrit des mains d’un Québécois de 46 ans, diagnostiqué d’un cancer avancé en 2012, ne dit pas autre chose. Au-delà de son expérience personnelle, l’auteur profite de la plateforme «pour informer sur le cancer de la prostate avancé, sur les recherches et les percées dans le domaine». Avec ses mots, son style, il entend «sensibiliser les gens en général, mais surtout les hommes des dangers de garder le silence face à cette maladie insidieuse.» Un tabou qui reste encore à briser.

Car ne pas en parler n’aide pas à faire taire ses peurs. Dans le blogue très suivi The Big C (en anglais), l’américain David Emerson, décédé à 49 ans en octobre 2012, expose ses doutes, ses peurs et ses espoirs face à la maladie. Jusqu‘à la fin. Un blogue au présent, car ses écrits sont toujours en ligne. Un choix de son épouse, responsable de la fondation créée par son mari, pour offrir aux autres hommes un lieu de témoignage où se renseigner et s’inspirer.

D’après l’auteur de Voyage avec mon cancer, «écrire sur la maladie aide énormément à côtoyer ses peurs, à les démystifier et à tutoyer le cancer de la prostate. Le mot cancer représente la mort pour un grand nombre d’entre nous. Pour moi, c’est avant tout un combat et tant qu’il y a combat, il n’y a pas de perdant.»

La réalisation de ce billet de blogue a été rendue possible grâce à une bourse de journalisme des Instituts de recherche en santé du Canada.

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