jim.jpg
Je vous avais déjà résumé les grandes lignes du dernier cours de Parlons cerveau IV intitulé « Neuroscience et libre arbitre » qui aura lieu ce mercredi 27 novembre (voir le premier lien ci-bas). En cherchant un article récent pour illustrer ce propos, je tombe sur cette histoire digne d’un titre de livre d’Oliver Sacks. Celle d’un chercheur en neuroscience qui découvre, en analysant les résultats d’une de ses expériences en imagerie cérébrale, que son cerveau a toutes les caractéristiques classiques de celui d’un… psychopathe !

L’histoire remonte à 2005 alors que James Fallon analysait les PET scans de milliers de sujets pour en distinguer des patterns d’activité typique de schizophrènes, dépressifs , psychopathes et personnes souffrant d’Alzheimer . Plusieurs personnes de sa famille, y compris lui-même, avaient participé à cette dernière étude. C’est sur l’une de ces images de cerveau d’un membre de sa famille que Fallon s’arrête, pétrifié. Les lobes temporaux et surtout frontaux impliqués dans le contrôle de soi et les comportements moraux montrent en effet une baisse d’activité typique du cerveau d’une personne ayant une difficulté majeure d’empathie pour autrui , fort probablement un psychopathe.

Abonnez-vous à notre infolettre!

Pour ne rien rater de l'actualité scientifique et tout savoir sur nos efforts pour lutter contre les fausses nouvelles et la désinformation!

Or cette personne faisant peut-être partie de sa famille puisqu'identifiée comme provenant de l’étude sur l’Alzheimer, Fallon a voulu en avoir le cœur net et a brisé le code de la procédure en double aveugle pour découvrir avec stupeur que le cerveau en question était le sien. Le sien, c’est-à-dire celui d’un homme heureux marié et père de famille n’ayant jamais tué personne. De quoi douter des critères utilisés sur les images de PET scans pour associer des cerveaux à des pathologies particulières. Sauf que…

Sauf que lorsqu’il reçut les résultats de tests génétiques entrepris pour clarifier tout ça, Fallon dut se rendre à l’évidence : il avait tous les allèles associés à un haut risque d’agression, de violence et de peu d’empathie ! Il avait donc tous les déterminismes génétiques pour devenir un psychopathe, mais n’en était pas devenu un. Et c’est là que cette histoire devient intéressante en ce qui concerne la question du libre arbitre.

Car Fallon s’identifie maintenant à ce qu’on appelle un psychopathe pro-social, c’est-à-dire quelqu’un qui a de la difficulté à ressentir de l’empathie pour les autres mais réussit à avoir des comportements socialement acceptables. Fallon rapporte par exemple qu’il a tendance à être très compétitif, à manipuler les autres et même à être agressif. Mais cette pulsion agressive, il la sublime dans les débats verbaux où il assène des arguments plutôt que des coups.

La compréhension de la personnalité de Fallon devient encore plus fascinante quand on ajoute deux autres chapitres à cette histoire. Le premier appuie le lourd héritage génétique dont Fallon semble avoir hérité : sa lignée familiale comprend plusieurs présumés assassins, incluant Lizzie Borden, accusée d’avoir tué son père et sa belle-mère en 1892.

Le second offre sans doute la meilleure piste pour comprendre le caractère malgré tout pro-social de l’individu : Fallon fut un enfant aimé qui reçut beaucoup d’attention de ses parents, entre autres parce que sa mère avait fait plusieurs fausses couches avant de lui donner naissance. Des données récentes appuient en tout cas cette hypothèse en montrant que la variante particulière d’un gène codant pour une protéine transporteur de la sérotonine , associée à l’origine directement à la psychopathie, rend en fait le développement du cortex préfrontal ventromédian particulièrement sensible aux influences précoces, positives (comme pour Fallon) ou négatives (qui mènent vers l’activité réduite de cette région chez les psychopathes).

Facteurs génétiques et influences marquantes du hasard de notre environnement familial, cela ressemble à ce que les tenants d’un déterminisme radical mettent de l’avant pour expliquer le peu de place qu’ils accordent au libre arbitre. Mais il y a peut-être une troisième voie, outre une réhabilitation sociale du libre arbitre à la Gazzaniga par exemple. Une conquête de certains degrés de liberté que semble expérimenter Fallon lorsqu’il explique que depuis qu’il sait tout ça sur lui-même, il parvient, avec un effort conscient, à considérer davantage ce que les autres ressentent et à agir en conséquence pour éviter de les heurter.

Mais il ajoute qu’il ne se sent pas pour autant devenu un ange intérieurement. La fierté de pouvoir prouver à lui-même et aux autres qu’il peut se soustraire à ses déterminismes y est pour beaucoup. Pas très différent, au fond, du besoin viscéral qu'ont les humains dits "normaux" de se prouver (ou se faire accroire ?) qu’ils sont des êtres libres…

i_lien Parlons cerveau IV i_lien The Neuroscientist Who Discovered He Was a Psychopath i_lien A Neuroscientist Uncovers A Dark Secret

Je donne