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Tout se joue avant 6 ans! Les livres de psycho-pop qui abordent le lien entre petite enfance et développement de l'individu abondent. Si leurs approches sont parfois discutables, leur idée commune est appuyée par plusieurs études. L'explication du phénomène est toutefois nouvelle et se base en grande partie sur l'épigénétique.

Les exemples sont nombreux. La nutrition pendant la grossesse influencerait le risque de cancer du côlon chez le bébé, une fois devenu adulte. Les enfants qui grandissent dans un milieu défavorisé possèdent des globules blancs qui réagissent de manière anormale. Cependant, c'est l'impact des soins reçus par un nouveau-né qui a été le plus étudié et qui est maintenant le mieux compris.

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Plusieurs études ont été réalisées sur les rats pour déterminer si une mère très protectrice influence différemment le développement de ses ratons, en la comparant à une mère négligente. Les scientifiques ont ainsi remarqué que les mères protectrices ont tendance à lécher et à toiletter davantage leurs petits. En réponse à ce comportement, ceux-ci développeraient davantage de récepteurs des glucocorticoïdes dans leur hippocampe, la région du cerveau responsable de la gestion du stress. Au contraire, si la mère néglige son bébé, celui-ci en possède très peu.

Une petite parenthèse s'impose ici. Le récepteur des glucocorticoïdes, appelons-le affectueusement GR, est très important pour gérer le stress. Lorsque notre corps perçoit un danger, il produit une hormone pour l'aider à bien réagir, le cortisol. Si le cortisol est très utile pour se défendre contre l'attaque d'un tigre, il génère malheureusement des effets secondaires désagréables quand la situation revient à la normale. Pour cette raison, le corps a mis au point un mécanisme pour arrêter l'état d'alerte promptement et celui-ci utilise le GR. Lorsque le GR se lie au cortisol, il envoie alors un signal stoppant la production d'hormones de stress. Fin de la parenthèse.

Revenons maintenant aux rats. Puisqu'ils ont plusieurs exemplaires du GR, les bébés de mères protectrices se calment très rapidement, ce qui constitue un avantage dans un environnement relativement paisible. Par contre, les petits de mères négligentes seront anxieux et agressifs... une bonne chose dans un milieu hostile. On suppose en fait qu'une mère vivant dans un endroit de ce genre aura moins de temps pour lécher et toiletter ses petits, un comportement décrit comme de la négligence par les chercheurs. Donc, par son comportement, la mère renseigne son enfant sur le monde dans lequel il vit et celui-ci s'adaptera pour avoir les meilleures chances de survie.

Et l'épigénétique dans tout cela? Et bien, les mécanismes épigénétiques sont précisément ce qui permet de modifier de façon permanente la quantité de GR produite par le cerveau du raton. Lorsqu'on étudie les gènes des ratons négligées, on remarque en effet que de nombreuses molécules méthyles ont été fixées au gène du GR, ce qui en réduit considérablement la production. Cette modification du gène est stable et persistera pendant toute la vie de l'animale.

C'est là tout l'intérêt de l'épigénétique. Ce mécanisme permet à l'expression des gènes de s'adapter rapidement à l'environnement. Ces modifications sont en quelque sorte la mémoire de nos cellules.

Fait intéressant, des observations similaires ont été faites chez l'humain. Au Québec, des chercheurs ont étudié les gènes d'individus qui se sont suicidés. Ils ont alors remarqué que parmi ces personnes, celles qui avaient vécu des abus pendant l'enfance avaient un plus grand nombre de méthyles sur un gène impliqué dans la production des protéines (celui de l'ARN ribosomal pour ceux que cela intéresse). Cette situation n'était toutefois observable que dans une seule région du cerveau: l'hippocampe. Ce patron de méthylation pourrait donc affecter le fonctionnement du cerveau des enfants et persister à l'âge adulte.

L'épigénétique offre ainsi pour la première fois un mécanisme biochimique expliquant comment l'environnement des premières années modifie l'expression des gènes. Une question demeure cependant: ces modifications peuvent-elles se transmettre aux générations suivantes?

Par définition, les changements épigénétiques sont temporaires puisqu'ils permettent de s'adapter à un milieu qui change. Elles sont donc potentiellement réversibles. En fait, au moment de la fertilisation de l'ovule par le spermatozoïde, toutes les molécules méthyles sont retirées des gènes, une remise à zéro autrement dit... Il semblerait toutefois que 1% de celles-ci demeurent intouchées.

À ce jour, les chercheurs ne sont pas parvenus à démontrer la transmission d'une modification épigénétique sur quatre générations, la seule preuve acceptable en science qu'une telle modification serait permanente. L'épigénétique n'a donc pas terminé de nous livrer ses secrets et les prochaines années devraient nous procurer de nouvelles recherches étonnantes sur le rôle des premières années de vie sur le développement de l'individu.

- Ce texte a d'abord été publié sur le site Maman Éprouvette.

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