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Vous avez sûrement déjà entendu l'une de ces phrases que tout le monde répète, mais dont la provenance est nébuleuse. «Il faut boire 2 litres d'eau par jour» ou «Il faut offrir 15 (ou 25 ou 30) fois un aliment à un enfant pour qu'il l'apprécie.» Dans le domaine de l'allaitement, l'affirmation qui m'a toujours intriguée est «Un seul biberon de lait artificiel peut modifier la flore intestinale d'un bébé qui mettra alors deux semaines à s'en remettre.» Ce qui me semble étrange dans cette phrase, c'est la précision des informations qu'elle renferme.

En effet, cet avertissement ne parle pas de quelques biberons, mais bien d'un seul. On ne dit pas simplement que le bébé mettra quelque temps à retrouver sa flore intestinale d'enfant allaité. Non. On mentionne spécifiquement deux semaines. Devant des détails aussi pointus, je me suis toujours interrogée sur la source de cette affirmation. J'ai trouvé une réponse stupéfiante dans le document Just One Bottle Won't Hurt —or Will It? Supplementation of the Breastfed Baby par la consultante en lactation américaine Marsha Walker. Certaines des références qui y sont citées ont plus de 80 ans!

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Selon Benoît Levast, chercheur au département de microbiologie et d’immunologie de l’Université McGill, le document dans son ensemble est bien fait et le contenu est correct. Mme Walker y décrit en effet les conditions existant dans l'intestin du nouveau-né et l'influence du type d'alimentation (lait maternel ou lait artificiel) sur cet environnement. Cela lui permet alors d'expliquer comment l'alimentation peut favoriser certains types de bactéries. «L'absence évidente d'une mise à jour rend toutefois le document moins sérieux», souligne Dr Levast.

Par exemple, on peut lire que «lors de l'introduction de suppléments de lait artificiel, la flore intestinale du bébé allaité devient identique à celle d'un adulte en l'espace de 24 heures.» Le hic, c'est que la source de ces données est un article publié en 1932. De la même façon, la phrase «Si du lait maternel est donné à nouveau, il faudrait 2 à 4 semaines pour que l'environnement intestinal retourne à un état favorisant une flore gram-positive» s'appuierait sur cet article et sur un autre de 1922.

En fait, les données provenant de cette époque ne sont tout simplement pas applicables de nos jours parce que les laits artificiels utilisés alors n'ont rien à voir avec ceux que les bébés reçoivent aujourd'hui. En 1922, lorsqu'on emploie le terme supplément, on parle de bébés qui ont consommé «un peu de lait de vache». En 1932, pour les besoins de l'étude, l'alimentation des bébés était changée aux trois semaines en alternant lait maternel, lait de vache entier bouilli une minute, lait de vache avec du lactose, lait de vache avec de l'acide lactique et lait de vache avec de l'acide lactique fermenté. «Les laits artificiels sont maintenant améliorés et même prébiotiques ou probiotiques», confirme Dr Levast.

Outre la date des références, l'interprétation de certaines études laisse également à désirer. Par exemple, Mme Walker cite un article de 1977 lorsqu'elle écrit qu'une petite quantité de lait artificiel chez l'enfant allaité (un supplément par 24 heures) cause le passage d'une flore intestinale de bébé allaité à une flore de bébé nourri au lait artificiel. Selon Dr Levast, l'étude note plutôt que les bébés qui ont reçu un supplément ont une flore bactérienne intermédiaire entre celle d'un bébé allaité et celle d'un bébé nourri exclusivement au lait artificiel. «De plus, ils ont introduit la supplémentation la première semaine et pendant une semaine! L'effet est donc bien plus visible», ajoute Dr Levast.

À ce stade, je me dois de préciser que mon but n'est pas de minimiser l'effet des suppléments sur la flore du bébé allaité, mais plutôt de questionner la rigueur avec laquelle on s'adresse aux mères.

Dr Levast résume d'ailleurs bien la situation. «Le document est obsolète. Je pense toutefois que la conclusion est toujours valable pour la première semaine, car le lait de vache n'est pas parfait à la base. Je crois que tout le monde est d'accord pour dire que rien ne remplace le lait maternel», conclut le chercheur. «Il faudrait préciser que c'est la première semaine qui est critique... et que le “traitement” représente 7 bouteilles!», ajoute-t-il toutefois.

C'est là tout le problème d'une telle situation. La prémisse de départ est la bonne, mais la façon de la démontrer enlève toute crédibilité à son auteure. Si les consultantes en lactation veulent être prises au sérieux par le milieu médical, elles ne peuvent se permettre de laisser circuler des articles citant des références de 1922 avec des titres sensationnalistes.

Par conséquent, il est nécessaire de cesser d'utiliser ces phrases toutes faites dont la source est obscure. Le rôle des professionnels est de s'assurer de la provenance de leurs données, car les mères ont le droit de recevoir des renseignements non-biaisées. En effet, si on veut continuer de parler de choix éclairé, il faut des informations justes... et à jour!

Ce billet a d'abord été publié sur le site Maman Éprouvette.

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