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Le gouvernement du Québec semble déterminé à baliser – et de fait légaliser – la facturation de frais aux patients par les médecins qui exercent en dehors des hôpitaux. C’est un tournant majeur et une décision qui va beaucoup conditionner le futur de notre système de santé. Penser que la légalisation des frais accessoires ne concerne que quelques services à la marge du système n’impliquant qu’une maigre contribution de certains patients est une grosse erreur d’analyse.

Depuis plusieurs années, le Québec a accepté un effritement progressif du principe d’un système de santé public, universel et gratuit. Des services ont été "désassurés" - par exemple, l’essentiel de la radiologie hors hôpital - et plusieurs interventions se sont développées hors établissement.

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Telles la vasectomie, l’avortement, la colonoscopie et bien d’autres sont assurées, mais en majorité offertes en dehors du réseau des établissements publics - et, à travers ces processus, l’intégration de plusieurs nouvelles technologies au système de soins s’est faite dans une logique de marché.

Ce sont principalement des groupes de médecins qui ont acheté des machines, lancé des cliniques, embauché du personnel et commencé à offrir des services semi-assurés. Le terme « semi-assuré » décrit le fait que dans ces cliniques les médecins facturent la RAMQ pour leurs services professionnels, mais les cliniques facturent aussi le patient pour défrayer le cout des infrastructures : ce sont les fameux « frais accessoires ».

La nouvelle normalité ?

Avec le temps, ces frais accessoires sont entrés dans les mœurs et constituent la nouvelle normalité. On peut le constater devant la remarquable apathie des médias face à l’annonce par le ministre de la Santé du Québec de légaliser la chose. Parce que, même si on l’oublie trop souvent, les frais accessoires sont illégaux tant en regard des lois québécoises que des lois canadiennes.

Et il y a de bonnes raisons pour interdire toute forme de facturation directe de frais aux patients pour les soins nécessaires. Nous en nommerons trois ici. La première est l’équité. Le système de santé du Québec a pour principe fondamental d’essayer de faire en sorte que le niveau de richesse d’une personne ne soit pas une entrave à l’accès aux soins.

Si les patients doivent choisir entre payer ou bien devoir se contenter de technologies cliniquement dépassées et faire face à des délais d’attente interminables alors l’équité n’existe plus; les plus pauvres et les plus malades seront pénalisés. La seconde raison est le contrôle des conflits d’intérêts pour le médecin. Quand le médecin qui pose le diagnostic et prescrit des tests ou des traitements est aussi actionnaire de la clinique qui facture les services, tous les ingrédients sont réunis pour un dérapage.

Les anecdotes sur les gouttes oculaires ou les anesthésiants qui coutent quelques sous et qui sont facturés des centaines de dollars illustrent à quel point la pente est glissante. La troisième raison est l’encadrement de la pratique. Les nouvelles technologies et les interventions cliniques ne sont pas toutes désirables. Une fois que l’intégration des technologies dépend d’une logique de marché et de l’instinct entrepreneurial de certains médecins, qui va s’assurer que les soins offerts soient réellement fondés sur des preuves robustes à propos de leur efficacité et leur sécurité ? La réponse est simple : personne.

La situation actuelle est paradoxale. Toutes les données montrent que la facturation directe des patients est la pire option possible pour financer les soins. Il n’existe aucun mode de financement des soins avec des effets aussi néfastes. Alors que les lois actuelles interdisent, à juste titre, cette facturation, tout le monde s’en moque. Sur le terrain on facture à qui mieux mieux, la RAMQ n’enquête pas, personne à Québec ne semble s’en préoccuper.

À Ottawa même portrait, si la menace de sanctions fédérales a fait reculer plusieurs provinces dans le passé, le Québec semble pouvoir bafouer la Loi canadienne sur la santé en toute impunité. Même la population et les médias semblent résignés. C’est illégal et tout le monde le fait : "ouais ? bof!" C’est indésirable et toutes les données le montrent : "ah oui, bof!"

Path dependency

Un concept important en analyse des politiques publiques est la notion de path dependency . L’idée est que chaque choix qui est fait ouvre la porte à de nouveaux choix, mais du même coup fait disparaitre les autres options. On peut visualiser ce concept en pensant aux trajectoires dans un labyrinthe, chaque fois que l’on choisit une option à un carrefour, on se trouve confronté à de nouveaux carrefours qui sont différents de ceux auxquels on aurait été confronté si le choix initial avait été différent. Une caractéristique importante de la notion de path dependency c’est que rapidement on ne peut plus revenir en arrière. Les choix passés conditionnent les futurs possibles.

Pour le maintien d’un système de santé public, gratuit et universel, les décisions qui seront prises sur le dossier des frais accessoires vont conditionner le futur. Déjà le ministre Barrette justifie la légalisation des frais sur la base du fait que c’est la nouvelle réalité et que le gouvernement n’a pas les moyens de défrayer les 50 millions par années que la réassurance des frais couterait, ce qui est ridicule.

Cinquante millions, ça peut sembler beaucoup, mais c’est 0,1% (un dixième de 1%) des dépenses de santé du Québec. À titre de rappel, quand il s’agissait de mettre beaucoup plus que 50 millions de dollars d’augmentation dans la poche des médecins spécialistes, Dr Barrette n’y voyait aucun problème. Mais plus fondamentalement, actuellement les patients du Québec les payent ces 50 millions. Alors comment se pourrait-il que nous n’ayons pas collectivement les moyens de payer de manière équitable et cohérente ce que nous payons déjà selon des modalités inéquitables et anarchiques?

Pourtant il n’est pas encore trop tard. Le projet de Loi 491 déposé par Diane Lamarre propose concrètement d’abolir les frais accessoires. Beaucoup d’organisations se font entendre. De nombreux médecins se sont prononcés contre les frais : L’Association médicale du Québec, le Collège québécois des médecins, le Collège québécois des médecins de famille, les Médecins québécois pour le régime public, le Regroupement des médecins omnipraticiens pour une médecine engagée, et également au Canada, l’Association médicale canadienne.

Les frais accessoires ne sont qu’un des symptômes d’un mal beaucoup plus profond : comme société nous semblons avoir déjà jeté l’éponge et abandonné le principe d’un système de santé public et universel. Nous le regardons se désintégrer dans la plus complète apathie. Et aucune preuve scientifique ne peut sauver une institution que les citoyens ont déjà abandonnée.

Voici une pétition qui participe à lutter contre le démantèlement du système de santé public que représente cette facturation

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