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Quelques mois après le dépôt de la Loi 20 pour améliorer l’accessibilité aux médecins de famille et aux médecins spécialistes, il est beaucoup question dans les médias de l’atteinte de l’une de ses cibles : l’inscription de patients auprès d’un médecin de famille. Déjà en juin 2016, PoCoSa remettait en question le bien-fondé de ces cibles d’inscription pour améliorer l’accès de la population à un médecin de famille (« Loucher sur les cibles et se planter »). Outre le problème d’une vision uniquement préoccupée par le suivi d’indicateurs arbitraires, la question de l’inscription, de sa formalisation et de ses effets doit être analysée en détail.

D’où vient l’idée de l’inscription des patients ?

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La littérature scientifique est assez consensuelle quant aux bénéfices de l’affiliation d’un patient à un professionnel en première ligne. Être suivi par le même professionnel au fil du temps augmente la continuité relationnelle, ce qui, à son tour, peut améliorer la qualité des soins et ultimement l'efficacité.

Pour permettre cette continuité relationnelle, le lien entre le patient et un professionnel peut toutefois être plus ou moins formalisé. Toutes les provinces canadiennes n'ont d'ailleurs pas choisi la même approche. Certaines provinces comme le Manitoba et la Colombie-Britannique ont, par exemple, choisi un modèle très souple. Au Québec, en revanche, l’affiliation à un professionnel se fait par une inscription formelle entre un médecin de famille et un patient et constitue une forme de contrat les engageant dans une relation à long terme. Ce type de formalisation implique l’élaboration de règles et de processus qui se répercutent ensuite sur la pratique des professionnels.

Le concept d’inscription formelle a vu le jour au Québec en 2002, lors de la mise en place des premiers Groupes de Médecine de Famille (GMF). Chaque médecin de GMF devait inscrire ses patients pour les comptabiliser et permettre de déterminer ainsi le niveau de financement et de ressources alloués par l’État au GMF. Ces ressources – qu’elles soient du personnel infirmier ou des ressources financières (subvention de bureau) – devaient également être arrimées à des cibles d’étendue d’ouverture des cliniques et de leurs services.

Ici, le principe de l’inscription a été pensé avant tout comme un outil de gestion. Ce n'est que plus tard, et par la bande, que l'inscription a été interprétée en relation avec la réponse aux besoins de la population.

L’utilisation et le dévoiement de l’inscription

De ce fait, de nombreux GMF ont développé une offre de services réservée exclusivement à leurs patients inscrits, avec pour conséquence la création d’une barrière pour les patients non-inscrits et de fait la diminution de l’offre des services en première ligne pour ceux-ci. Pour ces patients, la seule alternative est bien souvent d’aller consulter à l’urgence pour des soins qui pourraient très bien – et à moindre coût – être pris en charge en première ligne. C’est aussi pour cette raison que le transfert de professionnels du réseau public vers les GMF est si préoccupant, car en pratique ces ressources ne seront accessibles qu’aux personnes spécifiquement inscrites dans ce GMF et suite à une référence du médecin de famille.

Un second problème lié au modèle québécois d'inscription formelle des patients concerne les effets secondaires des forfaits annuels de prise en charge et les primes qui y sont liées. Pour inciter les médecins à inscrire formellement les patients qu'ils suivent en GMF, un système de primes par nouveaux patients inscrits a été mis en place. De plus, pour aider les médecins à recruter de nouveaux patients, le gouvernement a mis en place des guichets d’accès aux clientèles orphelines (GACO) qui permettent aussi d’estimer le degré de vulnérabilité du patient. Depuis 2008, une série d'incitatifs financiers ponctuels pour les patients inscrits formellement via ces guichets a été mise en place. Plus récemment encore, depuis 2011, des incitatifs financiers sont également donnés aux médecins pour l’inscription de nouveaux patients hors GACO.

L'analyse de ces pratiques d'inscription a révélé deux problèmes majeurs :

  • D'abord, une sous-inscription systématique des patients vulnérables ayant le plus de besoins (problématiques de santé mentale, toxicomanie, personnes âgées, maladies dégénératives, problématiques multiples…). Ces patients sont moins « rentables » dans la logique du paiement à l’acte puisqu’ils nécessitent des consultations plus longues et des interventions plus complexes, incluant la coordination (peu rémunérée) de plusieurs professionnels différents ;
  • Par ailleurs, on observe aussi une surinscription de patients par rapport à la capacité de suivi réel de certains médecins. Dans ce cas, les patients sont inscrits mais ils restent confrontés à une attente de plusieurs mois pour obtenir une consultation. Il fut un temps où certains médecins demandaient à leurs patients déjà suivis ou rencontrés lors du sans rendez-vous de s’inscrire préalablement auprès du GACO afin qu’ils formaliser leur inscription et obtenir la prime d’inscription majorée. Il s’agit là d’un exemple flagrant de détournement opportuniste de l’outil qui a englouti des millions avant d'être contrôlé.

Au fil du temps, l'inscription est ainsi devenue au Québec un levier de rémunération utilisé pour influencer la pratique médicale. L’inscription formelle s'est transformée en mécanisme pour pondérer le paiement à l’acte en y ajoutant de fait une portion de capitation (le médecin reçoit une rémunération pour fournir des soins à un groupe défini de patients, peu importe leur nombre annuel de visites) et une portion de paiement à la performance (le médecin reçoit des primes en fonction de l'atteinte de cibles fixées par le ministère).

Actuellement, afin de favoriser le suivi des patients vulnérables, chaque médecin reçoit par exemple une prime annuelle de prise en charge pour chaque patient inscrit à son nom qu’il a vu dans les trois dernières années. De même, la prise en charge des patients vulnérables est aussi favorisée par le biais d’une prime accordée au médecin à l’inscription de ces patients et à une augmentation du tarif de l'acte durant leur suivi. Malgré tout, les chiffres de 2011 montrent que seulement 30 % des patients du GACO nouvellement inscrits sont vulnérables.

L’inscription, qui était au départ un outil d’amélioration de la continuité des soins pour les patients, est ainsi devenue une sorte de fourre-tout. Un remède miracle, selon le gouvernement, qui améliorerait l'accessibilité des soins, l'efficience du système, la performance du modèle de rémunération et surement bien d'autres choses encore. N'est-ce pas là un objectif un peu irréaliste pour une simple liste de patients par médecin ? D'autant plus que l'inscription à un médecin est une approche un peu dépassée dans le contexte d'équipes interdisciplinaires de soins primaires : une inscription à une organisation de première ligne où les professionnels partagent une responsabilité collective est un modèle d’avenir nettement plus porteur.

L’une des principales cibles de la loi 20 vise une inscription de 85 % de la population d’ici le 31 décembre 2017. Actuellement, nous sommes encore bien loin de cette cible et au rythme de l’évolution des inscriptions, il est peu réaliste de penser que cette cible sera atteinte à échéance. Malheureusement, puisque l’inscription est considérée ici comme la condition sine qua non de l’accès au système de santé, il n’y a d’autre cible envisageable que l’inscription de toute la population québécoise. Pourtant, il serait possible d’imaginer un système plus fluide où l’inscription a la place qu’elle mérite : sur l’étagère des outils et non sur celle des produits finaux. D’autres mécanismes existent, qui, utilisés de manière concourante peuvent améliorer l’accès et le suivi des patients : accès adapté, révision du mode de rémunération des médecins, une autonomisation des autres rôles professionnels par rapport au rôle médical, etc. Il s’agit maintenant d’avoir le courage de les utiliser.

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