En revoyant récemment un de mes amis astronome amateur, j’ai été amené à réfléchir sur l’image que nous nous faisons du cosmos et de la forme de la nuit elle-même. En effet, ce copain de longe date aime tellement le fabuleux spectacle des éclipses qu’il est prêt à parcourir le monde entier pour les voir. La dernière en date, une éclipse totale de Soleil a eu lieu le 1er août en Asie. Ainsi, nous a-t-il montré les photographies de son voyage en Chine.

Pour ma part, je ne suis pas prêt, comme lui et ses confrères chasseurs d’éclipses, à courir jusqu’aux confins du ciel et de la terre (From the depths of the sky and the ends of the earth, dirait le poète Percy Bysse Shelley). Mais j’apprécie le spectacle céleste lorsqu’il se présente. Je me rappelle très bien d’ailleurs la très belle éclipse lunaire que nous avons pu observer en février dernier.

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Pour les astronomes amateurs, la nuit est le lieu (plutôt qu’un temps) propice à l’astronomie. Elle constitue le foyer naturel de la voûte étoilée, et lorsque nous imaginons les vastes étendues cosmiques au-delà de notre planète, nous les concevons d’abord comme des ténèbres, constellées ensuite par les lointains et minuscules feux stellaires.

Et pourtant ! Il s’agit là d’un point de vue particulier parce que partiel. Les éclipses nous rappellent brièvement, au contraire, que l’espace n’est pas nécessairement un gouffre d’obscurité mais plutôt un jour sans fin où règnent glorieusement tous les soleils de l’univers. De nous tous, seuls les astronautes ont pu en faire la réelle expérience. Mais d’autres avant nous, avec les yeux de l’imagination, avaient su nous transmettre ces vérités, si simples en apparence, mais auxquelles nous sommes aveugles parce qu’elles contredisent nos sens et nos habitudes.

La poésie, que l’on oppose si abusivement à la science, nous permet justement de corriger notre regard sur les choses en proposant une vision nouvelle. Par exemple, je n’ai réalisé la véritable nature de la nuit que lorsque j’ai lu par hasard ce vers d’un poème (Prometheus Unbound) de Percy Bysse Shelley :

« I spin beneath my pyramid of night

Which points into the heavens, dreaming delight »

C’est la Terre qui s’adresse ainsi à la Lune dans ce poème aux accents astronomiques : « Je tourne sous ma pyramide de nuit ».

La nuit, ce lieu qui nous semble à nous, astronomes amateurs, infinie, éternelle et informe, est d’une toute autre nature, vu de l’espace. La nuit n’est qu’une ombre fugace, la nuit n’est qu’un cône d’obscurité. Un autre poème, de C.S. Lewis (The Pilgrim's Regress), celui-là, confirme la chose :

« I, above the cone

Of the circling night »

Dans le poème, c’est un ange qui parle ainsi mais il pourrait tout aussi bien s’agir d’un astronaute, tournant inlassablement autour de la Terre et traversant plusieurs fois par jour le cône d’obscurité que projette la Terre.

Le poète s’est peut être inspiré, tout prosaïquement, des cartes astronomiques de l’époque, dont les schémas montraient clairement les cônes d’ombre produits par la Terre et la Lune lors des éclipses. Malheureusement, ces belles affiches ne se trouvent plus dans les salles de classe et nous oublions progressivement ce que le mariage de l’astronomie et de la géométrie avait su bien expliquer. Il aura fallu qu’un poète nous le rappelle. Un seul vers de quelques mots illustre à merveille ces connaissances acquises au fil des années d’étude. Mainteneant, lorsque je contemple une éclipse de Lune, c’est ce vers de Shelley qui me revient d’abord en mémoire.

L’imagerie astronomique est sans doute aussi un peu coupable de cet oubli. Les représentations fidèles et splendides d’artistes tels que Chesley Bonestell (1888–1986) ont contribué à donner un air de réalité quasi-photographiques aux images/imaginations des autres mondes. Mais, dans cette recherche d’authenticité, nous avons perdu de vue certains concepts de base. Certaines illustrations des premiers pulps de science-fiction, toutes naïves qu’elles étaient, montraient justement les planètes (et tous les autres objets) dans l’espace, accompagnées de leur cône d’ombre.

Certes, il n’y a rien de moins visible dans l’espace que l’obscurité elle-même. Aussi, faut-il les yeux de l’imagination pour mieux distinguer ces nuances. (Nous le faisons d’ailleurs régulièrement avec les photographies de nos sondes spatiales et de nos télescopes, en rehaussant certains spectres ou certaines couleurs.) Mais l’imagerie que l’on utilise pour décrire ces réalités modifie nos perceptions de l’univers. Au lieu d’imaginer le cosmos comme un espace sombre piqueté d’étoiles, le poète nous enjoint à le voir autrement, comme un lieu embrasé par mille millions de soleils, où la seule ombre est celle que nous créons nous-mêmes, autrement dit, que nous portons en nous-mêmes. Le soleil, et chaque étoile du ciel, porte une couronne dont les épines sont constitués des cônes d’ombre des planètes et des cailloux en orbite.

Dans cette vision, le cosmos n’est pas enténébré mais flamboyant de mille splendeurs !

Saint-Exupéry nous l’avait affirmé avec Le Petit Prince : on ne voit bien qu'avec les yeux du cœur.

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