Tout a
commencé à lantenne de la BBC.
Citant un éditorial de la revue spécialisée
Human Reproduction, la télévision
britannique rapporte vendredi, le 4 mai, que des
chercheurs américains spécialistes
du traitement de la stérilité, ont
donné naissance aux premiers bébés
génétiquement modifiés.
Rapidement, les chercheurs concernés
démentent, ou du moins apportent des nuances:
non, nous navons pas modifié
les gènes de ces bébés, nous
navons pas modifié leur ADN
proprement dit. Et surtout, s'empressent-ils s'ajouter,
cet éditorial fait le point sur des expériences
en cours... depuis trois ans (lire notre texte Le
bébé aux deux mamans, du 19 octobre
1998). Expériences qui, à l'époque,
avaient été dûment annoncées,
et qui ont permis la naissance, jusquici,
dune trentaine de bébés, environ
la moitié aux Etats-Unis (résultat
dun travail expérimental réalisé
à lInstitut de médecine reproductive
de St. Barnabas, New Jersey), et lautre moitié
en Europe.
Sils nont pas modifié
les gènes de ces bébés, de
quoi parlons-nous ici?
Au départ, une simple théorie.
Certaines femmes seraient stériles en raison
de la mauvaise qualité de leurs ovules, plus
précisément, de la mauvaise qualité
de leur cytoplasme, cette "gelée"
dans laquelle baignent les chromosomes (là
où réside notre code génétique).
La solution, expérimentée avec succès,
puisquelle a conduit à la naissance
de ces 30 bébés en bonne santé:
prendre lovule malade, lui injecter du cytoplasme
étranger. Résultat : le bébé
a les gènes du père et de la mère,
et personne ny voit de différence.
A un minuscule détail près,
mais cest ce détail qui fait toute
la différence: dans le cytoplasme résident
plusieurs choses, dont les mitochondries, ces "centrales
dénergie" de nos cellules. Or,
les mitochondries contiennent elles aussi des gènes.
Très peu, mais quelques-uns tout de même,
qui ne sont transmis que par les mères. De
sorte quun
bébé né avec cette technique
se trouve à hériter dune minuscule
poignée de gènes, les gènes
mitochondriaux, provenant en quelque sorte dune...
deuxième mère.
On ne considère généralement
pas que les gènes mitochondriaux ont un impact
sur la personnalité ou l'apparence physique
d'une personne. Mais on commence à soupçonner
quils pourraient jouer un rôle dans
le développement de maladies telles que l'Alzheimer
ou le Parkinson.
Donc, en un sens, il y a bel et bien
ajout de gènes " étrangers "
dans ces 30 bébés. Pas de manipulations
génétiques, pas dajout pour
"améliorer" le futur bébé,
mais un ajout tout de même. Doù
le fait que, au sens strict du terme, on puisse
vraiment parler dun bébé " génétiquement
modifié ", même sil
ne sagit que de 27 gènes sur plus de
30 000. Et puisque ces gènes se transmettent
de mère en fille, ils pourront être
transmis aux descendantes de ces "bébés
aux deux mamans".
Des tests génétiques
ont confirmé la présence de gènes
"étrangers" chez plusieurs de ces
30 bébés.
Ce
qui, dès lors, soulève dautres
questions et cétait le but
de léditorial de la revue Human
Reproduction (qui contenait bel et bien cette
phrase, laquelle a déclenché toute
cette controverse : ceci est "le premier
cas de modification génétique de la
lignée germinale résultant en des
enfants sains et normaux"). Les questions soulevées
tournent autour de ceci: cette technique de transfert
de cytoplasme, cest, à peu de choses
près, exactement celle qui a été
employée pour le clonage danimaux adultes.
Cest, en fait, suffisamment près de
la manipulation dembryons pour être
illégal dans quelques pays, dont la Grande-Bretagne,
et illégal aux Etats-Unis... dans les laboratoires
subventionnés par lEtat, mais pas dans
ceux payés par lentreprise.
Plus encore, cest un transfert
de gènes qui seront transmis aux descendants,
chose que se sont refusés à faire
de nombreux scientifiques, pour la simple et bonne
raison quon sait encore fort peu de choses
sur les gènes, et encore moins sur les gènes
mitochondriaux. Au cours de la fin de semaine, en
Grande-Bretagne mais, curieusement, pas aux
Etats-Unis- les
témoignages de scientifiques se disant "horrifiés"
quon en soit rendu à ce stade,
ont eu la cote dans les médias.
Que sera la prochaine annonce?