
semaine du 9 avril 2001


Mon royaume pour une grenouille
Les
grenouilles ont des problèmes. Pas moins de 20 espèces
damphibiens seraient disparues de la planète
au cours des 10 dernières années. Et cela
ne fait que commencer.
Que pensez-vous de cette nouvelle?
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Science-Presse/Médito
Il y a déjà un bon bout
de temps quon sen aperçoit: malformations
diverses, diminution de la population, stérilité.
Les problèmes auxquels font face les grenouilles
sont non seulement graves, ils sont généralisés:
cest aux quatre coins du monde que surgissent des
rapports alarmants sur une catastrophe écologique
que lon constate, mais pour laquelle on na encore
aucune explication.
Ou plutôt, aucune
explication précise. Au fil des ans, des chercheurs
ont mis le doigt, par exemple, sur un champignon microscopique
qui se colle à la peau des amphibiens, et finit par
les empêcher de respirer. Mais cela ne sapplique
quà certaines espèces damphibiens
dAustralie. Dautres ont jeté le blâme,
tour à tour, sur les pesticides, la pollution atmosphérique,
les rayons ultra-violets du Soleil, une bactérie...
Mais pendant quon sinterroge, le carnage se
poursuit, et rien ne semble devoir larrêter.
La revue Nature
propose sur sa dernière page couverture une jolie
photo de grenouille, accompagnée dune hypothèse
plus solide que les autres: dans au moins une région
du globe le Nord-Ouest des Etats-Unis- les amphibiens
seraient en déclin à cause des changements
climatiques. Plus précisément, une maladie
présente de longue date chez les amphibiens de cette
région se serait mis à croître de façon
furieuse, à cause des "changements environnementaux
provoqués par les variations climatiques et lexposition
accrue aux rayons ultra-violets".
Bref, un
portrait complexe (résumé
de l'article; nécessite une inscription gratuite)
mais qui a lavantage dêtre appuyé
sur une chaîne dévénements qui
semble se tenir: des étangs moins profonds, qui exposent
davantage les embryons aux rayons UV, les rendant donc davantage
vulnérables aux maladies... Une équipe dirigée
par Joseph M. Kiesecker, de lUniversité dEtat
de Pennsylvanie, a ainsi relié des analyses très
locales de populations damphibiens, à des analyses
à grande échelle du climat de toute la planète.
Le lien sappuie sur une décennie danalyses
de ces étangs et sur limpact des variations
dUV: lorsque létang fait moins de 20
centimètres de profondeur, plus de la moitié
des embryons de crapauds deviennent infectés par
un micro-organisme connu des experts, le Saprolegnia
ferax. Et moins du quart vont éclore. Le taux
de survie est nettement supérieur lorsque létang
fait plus de 50 centimètres de profondeur, ou lorsque
la végétation à la surface protège
mieux les embryons des rayons du Soleil.
Quant aux variations de
profondeurs des étangs, elles ont pu être directement
liées aux variations climatiques générales,
dont, pendant cette période, les soubresauts du fameux
El Nino.
Cette corrélation,
ajoutent les chercheurs, permettrait en théorie de
prédire avec six mois davance les déclins
démographiques des grenouilles. Mais cette corrélation,
renchérissent-ils aussitôt, ne résoud
pas tout. Le microbe S. ferax nest quun
des nombreux pathogènes affectant les amphibiens
de par le monde, et il nest pas sûr que ces
pathogènes soient tous favorisés au même
degré par les changements climatiques. Un autre voit
peut-être sa croissance accélérée
à cause dun pesticide; ou la destruction dun
habitat; ou un polluant. Par contre, explique Kiesecker
lorsquinterrogé par Nature, "lélément
commun (à tous les problèmes vécus
par les amphibiens) semble être lirruption dune
maladie", comme ce champignon microscopique qui a fait
des ravages chez les grenouilles australiennes.
Faut-il se réjouir
de cette découverte et croire que la solution est
en vue, ou sen désoler en constatant que le
chemin à parcourir est encore trop long? Egalement
interrogé par Nature, Tim Halliday, directeur
du Projet international sur le déclin des populations
amphibiens, qui se montre pourtant enthousiaste face à
la découverte, se dit pessimiste: "je dis désormais
que je suis un biologiste de lextinction, plutôt
quun biologiste de la conservation. Nous faisons face
à un processus si énorme que je ne peux pas
le voir sinverser avant très longtemps."
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