
3 avril 2001


Bush et la science: il y a moyen de faire mieux, George
Il
narrive pas souvent que les scientifiques se mobilisent
contre un politicien. C'est arrivé lan dernier,
lorsque le président sud-africain sest mis
à contester le lien entre le virus VIH et le sida.
Mais cette fois, la communauté scientifique sattaque
à un plus gros morceau: le président des Etats-Unis,
George Bush. Lui-même.
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Science-Presse/Médito
Certes, la
décision du président Bush de poignarder laccord
international de Kyoto, sur la réduction des
gaz à effet de serre, a provoqué la colère
de tout ce qui bouge dans les milieux écologistes
de la planète. Mais cette décision a fait
tellement de bruit quon en a oublié quelle
nest pas arrivée seule: la semaine dernière,
à peu près au même moment, lAgence
américaine de protection de lenvironnement
annonçait quelle sapprêtait à
enterrer une décision antérieure, visant à
diminuer le taux darsenic autorisé dans leau
potable. Motif: ça coûterait trop cher. Toujours
pendant ce temps, le dossier de la prospection pétrolière
dans une réserve protégée de lAlaska
poursuivait son petit bonhomme de chemin, en dépit
des protestations. Le tout sajoutant aux reculs,
hésitations et tergiversations depuis lentrée
de Bush à la Maison-Blanche, sur une foule de
dossiers environnementaux approuvés par son prédécesseur,
Bill Clinton.
Résultat :
la décision, annoncée le 28 mars, de ne pas
ratifier Kyoto, na pas seulement provoqué la
colère dune poignée de ministres de
lenvironnement et des écologistes: elle a suscité
un
éditorial dans la très réservée
-d'ordinaire- revue Nature. "Des décisions
précipitées sur les niveaux darsenic
et les émissions de dioxyde de carbone indiquent
que lopinion des scientifiques figure très
bas dans lordre des priorités de la nouvelle
administration Bush." Normalement, lit-on plus loin,
il faut des semaines à un nouveau gouvernement là-bas,
pour sajuster, trouver sa note, écouter les
avis divergents des nouveaux conseillers et des divers lobbyistes.
Cette fois, il a suffi de quelques semaines pour rendre
claire, limpide même, la position de ladministration
Bush sur ces questions où, normalement, lavis
des scientifiques aurait joué un rôle important.
Cette position "se situe fermement du côté
des employeurs et des pollueurs qui ont contribué
à payer à lélection singulièrement
peu impressionnante de Bush en novembre dernier." Et
vlan.
On pourrait toujours dire
de Nature quelle est une revue britannique,
et qu'en conséquence il est plus facile pour elle
de critiquer les Américains. L'autre prestigieuse
revue scientifique, Science, elle, bien qu'américaine,
nest guère plus tendre dans son propre éditorial:
elle commence par rappeler que,
pendant la campagne électorale, Bush sétait
engagé à réglementer les émissions
industrielles de dioxyde de carbone -ce qui, est-il besoin
de le rappeler, constitue le coeur même de lAccord
de Kyoto, signé en 1997. Elle poursuit en rappelant
quà elle seule, Science a publié
au cours de la dernière année plus d'une trentaine
détudes étoffées sur la réalité
du réchauffement planétaire et son impact
prévisible -sur les cultures, les animaux, les glaciers,
etc. "Et ceci ne vaut que pour une seule publication."
Pareil
consensus est rare en science.
"Nous avions été
portés à croire que le président était
prêt à prendre la route constructive quil
avait indiqué pendant sa campagne..." Malheureusement,
il ny avait manifestement aucun scientifique autour
du président pour lui dire quil se fourvoyait
en changeant didée.
Dans le cas des taux darsenic
dans leau, une importante étude de lAcadémie
nationale des sciences avait clairement conclu à
la nécessité
dune réduction. La Maison-Blanche a préféré
lopinion de lindustrie. Et dans le cas de la
réduction des gaz à effet de serre, il nest
pas nécessaire de revenir sur la montagne détudes
concluant systématiquement à un réchauffement
accru de la planète causé par les humains.
La Maison-Blanche et le Congrès ont préféré
lopinion de lindustrie, qui a donné pour
prétexte la crise de lénergie en Californie.
"Nous, Californiens, sindigne léditorialiste
de la semaine dans Science, sommes utilisés
comme excuse pour un autre virage malheureux!"
Avec 5% de la population
mondiale, mais 25% des émissions mondiales de gaz
à effet de serre, les Américains sont considérés
comme les premiers pollueurs de la planète. Laccord
de Kyoto, négocié péniblement par une
centaine de pays, exige que 38 pays industrialisés
(excluant lInde et la Chine) réduisent, dici
2012, leurs émissions au-dessous du niveau de 1990.
Pas les éliminer : juste les réduire.
Une réduction équivalant en moyenne à
5,2% du total des émissions actuelles, et à
7% aux Etats-Unis. Ce qui est fort peu aux yeux des écologistes,
mais déjà, avait nécessité de
longues séances de tordages de bras, il y a trois
ans. Et rien que ça constitue pourtant une dépense
inacceptable aux yeux de plusieurs chefs dindustries.
En Europe, où laccord
de Kyoto avait été lu et approuvé,
on
sest indigné toute la semaine.
"Le montant de la facture
délectricité des Américains passe
avant lavenir de la planète ",
a-t-on pu lire sous différentes formes. LAllemagne,
la France, la Grande-Bretagne, par la voix de leurs parlements,
leurs ministres de lEnvironnement ou leurs journaux,
ont protesté de façon virulente -souvent
de façon bien plus virulente que ce à quoi
Washington a été habitué, relate
le New York Times. Le Canada et le Japon, alliés
naturels, sont à peu près les seuls à
avoir mollement protesté après la décision
Bush.
"Si quelquun
veut être un dirigeant du monde, il doit apprendre
à regarder la Terre entière, et non pas seulement
lindustrie américaine", a déclaré
à un journal italien le premier ministre italien.
La Suède, qui assure la présidence de lUnion
européenne, assure que
lEurope continuera, elle, de soutenir Kyoto. Mais
sans laccord des Etats-Unis, lAccord de Kyoto
pourrait ne valoir guère plus que le papier sur lequel
il est écrit. Enfin, pour couronner le tout, selon
le Washington Post, la Maison-Blanche aurait demandé
un avis dexperts sur la façon dont elle pourrait
légalement se désengager de ce traité...
LUnion européenne,
il est vrai, nest pas blanche comme neige. Elle na
pas encore ratifié le traité: elle ne devait
le faire quen 2002. A
ce jour, à peu près seuls des pays du Tiers-Monde
lont ratifié, souligne Libération.
Quon se rappelle ces discussions, lautomne
dernier à la Conférence de La Haye, sur
les "pièges à carbone", ces forêts
que daucuns se proposaient de planter, pour remplacer
les réductions de leurs émissions industrielles
de gaz polluants -puisque les arbres, cest bien connu,
absorbent le carbone...
Lunivers texan de
George Bush, cest celui des firmes pétrolières.
Ses alliés naturels, ce sont les présidents
des compagnies de pétrole, du charbon, du gaz. Rarement
cela aura-t-il été aussi évident pour
un président américain que pour celui-ci...

Le texte de l'Accord
de Kyoto
La
décision Bush, sur le site du Département
d'Etat

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