
26 mars 2001


Le cosmos dans un grain de glace
Comme
le savent les amateurs daffaires spatiales, on peut
aller au Pôle Sud pour y chasser des météorites.
Mais on peut aussi y aller pour découvrir des...
galaxies.
Que pensez-vous de cette nouvelle?
Discutez-en dans le forum
Science-Presse/Médito
On a fait grand cas, ces dernières
années, de ces immenses détecteurs de neutrinos
des particules invisibles, sur lesquelles nous revenons
plus loin- installés à grands frais au plus
profond de mines désaffectées, entre autres
au Canada (plus précisément en Ontario), et
au Japon. Or, voilà quune découverte
surgie la semaine dernière dans la revue Nature
nous apprend quun tel détecteur existe aussi
dans les glaces de lAntarctique.
Un neutrino, cest
une particule invisible, inoffensive, inutile, et qui ne
pèse (presque) rien. Les neutrinos sont émis
en permanence par notre Soleil, de même par toutes
les étoiles du cosmos. Et le cosmos en produit un
nombre beaucoup plus élevé lorsquun
cataclysme se produit: par exemple, une étoile qui
meurt dans une gigantesque explosion.
Un neutrino, cest
donc une signature dun coin de lunivers. Une
signature dautant plus fidèle quun neutrino
passe au-travers de la matière encore plus facilement
que votre doigt passe à travers leau, que cette
matière soit le toit d'une maison ou la Terre tout
entière (!): il peut donc parcourir dénormes
distances sans être le moins du monde altéré.
Au point où en attraper un sest avéré
jusquici impossible : il
a fallu attendre 1998 avant d'avoir uniquement la première
preuve indirecte de lexistence des neutrinos.
Et il a fallu attender ce moment pour quon puisse
répondre à une question en apparence tellement
banale : le neutrino a-t-il oui ou non une masse ?
De sorte que les " filets "
à neutrinos, tels que ceux de lOntario et du
Japon, en dépit de
leurs premiers succès obtenus en 1998, restent encore
hautement expérimentaux. On en est encore au stade
très primaire de se demander ce que seraient les
méthodes les plus efficaces pour attraper ces particules.
Particules qui sont bien plus que de simples caprices de
physiciens, puisque certains prétendent que leur
nombre énorme pourrait influencer à lui seul
la masse totale de lUnivers -et ainsi, nous fournir
le secret de lavenir de lUnivers : son
expansion se poursuivra-t-elle indéfiniment, ou non?
Or, la découverte
annoncée dans la dernière
édition de la revue Nature
laisse croire que, bien mieux que le fin fond dune
mine désaffectée, cest peut-être
le lointain continent antarctique qui détiendrait
la clef dun " filet à neutrinos ".
Du moins, les neutrinos à haute énergie, qui
proviennent de lespace lointain, et non les neutrinos
à faible énergie, en provenance du Soleil,
qui sont ceux dont les détecteurs ontarien et japonais
ont détectés la trace depuis deux ans.
Les premiers tests de ce
détecteur, qui fait 120 mètres de diamètre
et est enfoui à un kilomètre et demi sous
la glace, confirment la détection de ces neutrinos,
et pavent peut-être la voie à la construction
dun véritable détecteur de neutrinos
là-bas. A cette différence près quau
lieu de se servir deau lourde, comme dans les autres
détecteurs géants de neutrinos, on se sert
de la glace comme détecteur naturel. Cela fonctionne
ainsi: léquipement enfoui est ajusté
pour réagir aux collisions entre les neutrinos et
les protons ou neutrons de la glace environnante. Ces collisions
créent des muons, une particule que les physiciens
décrivent comme "un cousin lourd de lélectron",
muons qui émettent une lumière bleue et ultraviolette,
appelée aussi radiation Cerenkov -et cest ça
que détectent les machines. Cest ce qui constitue
la "signature" du neutrino qui est passé
par là, tandis quil traversait notre planète
de bord en bord.
Léquipe internationale
dune quarantaine de chercheurs, dirigée par
Francis Halzen, de lUniversité du Wisconsin,
ne se contient plus. Son joujou, appelé Amanda (Antarctic
Muon and Neutrino Detector Array), en opérations
depuis 1997, a parfaitement rempli la mission quon
attendait de lui. Sur une période de 138
jours, il a détecté 263 neutrinos à
haute énergie, et léquipe a pu aller
jusquà produire une carte du ciel montrant
le lieu dorigine de chacune de ces 263 particules.
"Cet accomplissement, commente John Bahcall, physicien
des neutrinos à lInstitut des études
avancées de Princeton (New Jersey), marque le début
dune nouvelle science potentielle, lastronomie
extra-galactique à laide de neutrinos".
Certains astronomes affirment par exemple que ces neutrinos
à haute énergie, étant générés
dans des régions à très forte activité,
pourraient provenir de la frontière même de
trous noirs tels que ceux qui se trouvent au centre de plusieurs
galaxies -sans parler des neutrinos qui proviennent peut-être
des limites extrêmes de lUnivers, nés
au moment du plus violent événement cosmique
de tous les temps: le Big Bang.

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