Cest le cri dalarme
que (re)lance Richard Leakey, ancien
directeur des services civils du Kenya,
célèbre depuis des décennies
pour sa défense des grands singes
dAfrique. Au cours dune
conférence prononcée la
semaine dernière en Afrique du
Sud, il a lancé un chiffre effarant:
la planète verrait disparaître
entre 50 000 et 100 000 espèces
(animaux, végétaux, insectes,
poissons, etc.) chaque année.
Un chiffre contestable, et contesté.
Mais déjà deux fois plus
élevé que ce quil
avait lui-même estimé il
y a quatre ans.
S'il y a vraiment autant
despèces qui disparaissent,
alors cest la Terre elle-même
qui est en péril. Parce que chacune
de ces espèces est liée
à des dizaines dautres:
soit parce que cest un herbivore
qui sert de garde-manger à un
carnivore, soit parce que cest
un insecte qui contribue à léquilibre
entre les plantes et les insectes ravageurs
dans une région donnée.
Et des espèces
qui disparaissent à un tel rythme,
on na vu ça, selon Leakey,
quà cinq reprises dans
toute lhistoire de notre planète:
les cinq extinctions de masse que la
Terre a connu au cours de son histoire,
la dernière étant celle
qui a vu mourir les dinosaures, il y
a 65 millions dannées.
Autrement dit, "à
ce rythme, nous approchons probablement
un niveau similaire à une extinction
de masse". La "sixième
extinction", que nous annoncent
depuis une dizaine d'années certains
biologistes pessimistes -et quelques
auteurs de science-fiction.
Cette conférence
est survenue au même moment où,
à lautre bout du monde,
à Madison, Wisconsin, le 86e
congrès annuel de la Société
écologique américaine
était le lieu de présentation
dune
nouvelle étude, sur les mammifères
en voie de disparition cette fois. Une
équipe de lUniversité
nationale autonome de Mexico a tenté
de mesurer avec précision ce
fameux impact qua la disparition
dune espèce: son point
de départ fut un contraste frappant
entre deux forêts du Sud du Mexique,
lune, au Chiapas, à peu
près intouchée, et lautre,
près de Veracruz, où 46%
des mêmes espèces animales
(jaguars, singes, tapirs, etc.) ont,
depuis 30 ans, été systématiquement
chassées ou capturées.
Résultat: la deuxième
forêt ne se contente pas dabriter
moins danimaux, elle présente
aux observateurs beaucoup moins despèces
végétales, qui connaissent
une croissance moins rapide.
Lécologiste
Rodolfo Dirzo et son étudiant
Eduardo Mendoza ont donc mené
dans ces forêts différentes
expériences pour confirmer le
"rôle des mammifères
dans la croissance forestière":
par exemple, en dressant des clôtures
pour empêcher les mammifères
dapprocher tel et tel site.
Il leur a tout de même
fallu deux ans pour compléter
cette expérience. Tous les chercheurs
nont pas autant de patience, dautant
moins que, même après deux
ans, les résultats ne sont que
fragmentaires: lévolution
dun écosystème se
mesure plutôt sur des décennies.
Or, rappelle le Dr Leakey depuis Le
Cap, le temps presse. Tout indique que
le taux de disparition des espèces
saccélère, ce qui
augure très mal. Vouer davantage
de territoires à la conservation
des espèces serait déjà
un premier pas, dautant plus que
personne ne peut dire si le taux de
disparition actuel pourrait sinverser
du jour au lendemain, même si
des mesures radicales de protection
devaient être prises du jour au
lendemain.
Si la tendance actuelle
ne sinverse pas, ajoute Richard
Leakey, le monde perdra quelque 55%
de ses espèces dici un
siècle. Une telle catastrophe
écologique dépasse tout
ce quon peut imaginer, et ses
conséquences sur les espèces
survivantes sont impossibles à
prédire. Les dinosaures ne sont
plus là pour en parler...