
Le 20 novembre 2002

Retour
au sommaire des capsules
Une poubelle géante dans l'Atlantique
(Agence Science-Presse) - Soixante dix mille
tonnes de mazout. Le tout, à bord d'un vieux navire,
dont la dernière inspection remontait à quatre
ans, dont la propriété était douteuse,
et qui, avec sa coque unique, ne répondait plus depuis
longtemps aux normes de sécurité.
On les appelle des bateaux-poubelles et, une
fois encore, ils viennent de mériter leur nom. Le
naufrage du Prestige, ce pétrolier qui a coulé
mardi, 19 novembre, à 250 kilomètres au large
de l'Espagne, pointe du doigt des années de négligence
de la part des autorités maritimes et de mépris
de l'environnement de la part des négociants en pétrole.
La conséquence: une catastrophe écologique
le long d'un rivage offrant l'une des faunes marines les
plus riches d'Europe.
Le navire, qui s'est coupé en deux,
repose probablement, à présent, par 3600 mètres
de fond, ce qui rendra toute opération de pompage
très difficile à mettre sur pied. Scénario
du pire: les
cuves de mazout se fissurent sous l'énorme pression
qu'elles ont dû subir. Scénario optimiste:
le froid extrême à ces profondeurs solidifie
le mazout, limitant la catastrophe à ce qui s'est
déjà échappé des cuves.
Mais déjà, ce qui s'est échappé
est loin d'être négligeable: le Prestige
avait perdu 5000 tonnes de mazout avant la journée
de mardi, selon les estimations des autorités espagnoles,
et 5000 à 6000 autres tonnes se seraient échappées
lorsqu'il a sombré dans l'Atlantique, entre mardi
matin et le milieu de l'après-midi. Dès cette
journée fatidique de mardi, comme en ont rapidement
témoigné les
images relayées par tous les médias du
monde, quelque 200 kilomètres de rivages étaient
recouvertes d'une épaisse couche noire et gluante.
Et
ça ne faisait que commencer. "Ils essaient de
nettoyer, mais la mer en apporte toujours plus", déclarait
un pêcheur.
Des navires et des équipes spécialisées
tentent de limiter la progression de cette marée
noire, tandis
que les vents la poussent au contraire vers les côtes
espagnoles.
Mais il n'y a pas que les vents en cause.
La catastrophe pourrait être pire que celle de l'Exxon
Valdez, échoué au large de l'Alaska en 1989:
d'une part, celui-ci était deux fois moins chargé.
Mais surtout, il transportait du pétrole brut, alors
que le mazout peut être encore plus dommageable pour
l'écosystème. Il est plus visqueux, ce qui
rend le nettoyage des oiseaux de mer bien plus difficile
-et plus douteuse leur survie. Comme si ce n'était
pas suffisant, ce type d'huile s'évapore, se disperse
et se dégrade moins facilement que le pétrole
brut. Pour reprendre l'expression du magazine britannique
New Scientist: ce
type d'huile lourde va se transformer en une mousse au chocolat
qui emprisonnera les oiseaux et les autres animaux.
Quelle que soit la quantité de mazout
qui se sera finalement échappée du navire,
il est déjà trop tard: cette région,
la Galice, en subira les conséquences pendant des
décennies, affirme le Fonds mondial pour la nature.
Conséquences économiques, puisque des milliers
de pêcheurs ont été instantanément
réduits au chômage la semaine dernière,
dès le moment où, le 13 novembre, on a appris
que la coque du Prestige s'était fissurée
(tout au plus les écologistes poussent-ils un soupir
de soulagement du fait qu'aussitôt, les autorités
ont eu le réflexe de faire remorquer le pétrolier
plus loin de la côte). Mais conséquences écologiques
aussi: la région abrite plusieurs espèces
menacées d'oiseaux de mer, dont la mouette tridactyle
noire. Et le Puffin de Méditerranée (Puffinus
mauretanicus), lequel est carrément classé
parmi les espèces en voie de disparition: on compte
moins de 2000 couples aujourd'hui, contre 3300 il y a 10
ans, rapporte la BBC.
D'autres oiseaux aussi, plus abondants, certains
migrateurs, comme
le goéland, le cormoran et le fou de Bassan.
Parmi eux, il y a ceux qui se sont englués tandis
que la marée noire les rejoignait, et il y a tous
ceux qui le seront, en plongeant à la recherche du
poisson. Sur les plages, même une fois celles-ci nettoyées
en surface (un travail estimé à six à
neuf mois), les espèces qui ont l'habitude de vivre
dans des trous d'eau ou dans la boue auront bien du mal
à éviter d'être à leur tour engluées.
Et c'est sans compter les criques, les étangs de
vase et autres multitudes de marais salins caractéristiques
d'une plage découpée, où le mazout
épais s'est d'ores et déjà incrusté
et sera d'autant plus difficile à enlever. Là
où vivent abondance de crustacés et des moules
qui, du fond de leur coquille, doivent se demander ce qui
est en train de se passer dans le monde extérieur.
Qui paiera pour les dégâts? Ca,
les avocats auront bien du plaisir dans les prochaines semaines.
Le
Prestige a été enregistré au
Libéria, navigue sous pavillon des Bahamas, avec
un commandant grec, et a été affrété
par un négociant russe... basé en Suisse.
Capsule
suivante
Retour
au sommaire des capsules
Vous aimez cette capsule? L'Agence Science-Presse
en produit des semblables -et des meilleures!- chaque
semaine dans l'édition imprimée d'Hebdo-science
et technologie (vous désirez vous abonner?).
Vous voulez utiliser cette capsule? Contactez-nous!
|