Une usine d'antimatière
(Agence Science-Presse) - L'antimatière:
il y a quelques années seulement, on ne faisait
que spéculer sur la possibilité d'en voir.
A présent, on en fabrique. Une équipe
européenne, après trois ans de travail
acharné, en a livré 50 000 atomes, a-t-on
annoncé plus tôt ce mois-ci.
Ce ne serait pas assez pour faire fonctionner
la moindre de ces spectaculaires machines propres aux
auteurs de science-fiction. Mais
c'est une première dont sont bien fiers les gens
du Cern, le grand laboratoire de physique des particules
situé à Genève. Jusque-là,
les atomes d'antimatière étaient produits
pratiquement un par un, et ils ne vivaient qu'une fraction
de seconde.
En ce qui concerne le second point par
contre, rien n'est changé: ils ne vivent toujours
qu'une fraction de seconde.
C'est au physicien britannique Paul Dirac
qu'on doit, en 1928, la première description,
dans une équation mathématique, de l'antimatière:
une simple copie conforme de la matière, comme
le reflet dans le miroir. Et tout comme le reflet, il
y a inversion: pour un atome avec une charge positive,
il y a un atome d'antimatière avec une charge
négative. Ce qui a tout de suite une grave conséquence:
matière et antimatière ne peuvent pas
se rencontrer. Car si cela est, elles se transforment
instantanément en pure énergie, dans un
petit ou un grand bang -tout dépendant de la
taille du "morceau" d'antimatière rencontré.
Où est donc cette antimatière
et pourquoi n'assistons-nous pas en permanence à
des petits et des grands Bang? Tout simplement parce
que ceux-ci se sont produits peu après la naissance
de l'univers, il y a une quinzaine de milliards d'années.
Et comme -supposent les physiciens- la matière
avait un très léger avantage "démographique"
sur l'antimatière, c'est elle qui a gagné
la partie. L'antimatière ne subsisterait plus
que dans les trous noirs... et dans les accélérateurs
de particules comme celui du Cern.
L'équipe du Cern, comme cela arrive
souvent, a des rivaux, au Fermilab américain.
Une des raisons de leur fierté est justement
d'avoir battu au fil d'arrivée ces rivaux. Cela
signifie un peu plus de gloire pour le Cern, d'attention
médiatique... et de subventions. Assez pour franchir
à présent un pas de plus: tenter
de détecter de la lumière émise
par ces atomes antihydrogène. En théorie,
le spectre de cette lumière devrait être
le même que celui des atomes d'hydrogène;
si tel n'est pas le cas, on aurait alors la preuve que
matière et antimatière ne sont pas des
copies parfaites l'une de l'autre -et qu'il y a un mystère
non-résolu de plus dans ce vaste univers.