Saviez-vous que la malaria tue une personne...
toutes les 30 secondes? Au bout d'un an, cela fait un
million de personnes. Des traitements contre cette maladie
existent pourtant. Mais ces traitements sont souvent
hors de prix, ou les services de santé, trop
dispersés, dans maintes régions d'Afrique
et d'Asie. Alors à quoi diable servira-t-il d'en
avoir décodé le génome?
Peut-être à rien. Un constat
cruel jeté à la tête des généticiens
de deux dizaines de pays, si fiers, cette semaine, d'avoir
annoncé à la Une des revues Nature
et Science, avoir
décodé le génome du parasite responsable
de la malaria (Plasmodium falciparum), et
du moustique (Anopheles gambiae) qui transmet
ce parasite aux humains.
Il existe par exemple un programme parrainé
depuis 1998 par l'Organisation mondiale de la santé,
Roll Back Malaria, dont l'objectif est d'éradiquer
cette maladie d'ici 2010. Or, ce programme est voué
à l'échec, s'il ne se soumet pas rapidement
à une cure de rajeunissement, vient de dénoncer,
depuis Paris, un comité de sept experts en santé
publique et en économie dirigé par le
Californien Richard Feachem. Le programme, dénoncent-ils,
a été très fort pour dresser des
priorités et s'adjoindre de prestigieux partenaires
(dont la Banque mondiale) mais depuis, stagne dans les
marécages de la bureaucratie.
Le financement pour la lutte contre la
malaria a pourtant doublé entre 1998 et 2002,
en partie grâce à ce comité, admet
la revue Nature, elle aussi fort critique cette
semaine: il atteint à présent les 200
millions$. Mais il en faudrait bien plus pour que les
50 pays affectés par la malaria puissent accorder
à leurs malades un accès rapide aux traitements:
un accès aussi rapide que si, à Montréal
ou à Paris, vous étiez soudain atteint
de malaria...
On estime à plus de 300 millions
le nombre de gens, à travers le monde, infectés
par ce parasite, la plupart en Afrique. Et 200 millions$,
ce n'est que le dixième de ce qui aura été
dépensé cette année dans la lutte
contre le bioterrorisme.
Dans un tel contexte, à quoi servira
le décodage du génome, qui a nécessité
six ans et coûté 20 millions$? On a l'habitude,
depuis une demi-décennie, de saluer chaque nouvelle
découverte d'un gène lié à
une maladie, par l'espoir que cela permette d'en apprendre
plus sur cette maladie, et
par conséquent, d'aider un jour les malades.
Mais dans le cas de la malaria, les errements politiques,
la mauvaise gestion et l'indifférence des pays
du Nord sont tels, qu'il saute aux yeux que ce nouveau
savoir n'aidera en rien, dans l'immédiat, ceux
qui souffrent au Sud.
Le décodage
du génome du parasite de la malaria aurait
dû ouvrir la porte sur de nouvelles opportunités
scientifiques. "Mais cela pourrait plutôt accroître
les tensions sur la façon de mieux dépenser
les maigres ressources allouées à la recherche
et au contrôle de la malaria", dénonce
encore le journaliste Declan Butler, dans une analyse
que publie la revue Nature, côte
à côte avec les articles scientifiques
proprement dits.
Ce dont le Sud a un urgent besoin en effet,
c'est d'un investissement des compagnies pharmaceutiques
et des pays riches, pour développer de nouveaux
médicaments et vaccins, qui soient moins coûteux...
et qui puissent remplacer ceux (comme la chloroquine)
qui, déjà, commencent à perdre
de leur efficacité, le parasite ayant développé
une résistance.
Et ce dont le Sud a besoin, c'est aussi
de davantage de médecins et d'experts, sur place,
chez lui. De là l'Initiative multilatérale
contre la malaria, lancée en 1997, au Sénégal,
à l'initiative d'agences de recherche, d'organismes
charitables et de mécènes.
Autrement, s'il faut laisser à
la science le soin de suivre le cours naturel, il faudra
au moins 20 ans avant que le décodage des génomes
annoncé cette semaine -un exploit scientifique,
à n'en pas douter- ne débouche sur des
applications médicales: que ce soit la création
d'un vaccin, ou la création, souvent esquissée,
d'une espèce de moustique génétiquement
modifiée de telle façon qu'elle ne pourrait
plus transmettre le parasite.