Exprimons cela autrement : 
                                  ce nest pas lamour qui mène 
                                  le monde, ni même légoïsme. 
                                  Cest la colère. Cest la colère 
                                  qui fournit le ciment nécessaire aux 
                                  sociétés humaines. Cest 
                                  la colère qui, ultimement, conduit les 
                                  gens à coopérer entre eux. Et 
                                  ainsi, à fonder des familles, et des 
                                  civilisations. 
                                Il faudrait donc revoir la définition 
                                  traditionnelle de laltruisme et de la 
                                  générosité, écrivent 
                                  les chercheurs suisses qui font parler beaucoup 
                                  deux depuis la parution dune recherche 
                                  dans la dernière édition de la 
                                  revue Nature. Plutôt 
                                  que dassocier systématiquement 
                                  altruisme et générosité, 
                                  il faudrait y ajouter le concept de "punition 
                                  altruiste". 
                                Il faut se rappeler au départ 
                                  que ce quon appelle altruisme existe aussi 
                                  dans la nature: des animaux coopèrent 
                                  entre eux pour le maintien du groupe. Mais les 
                                  humains y ajoutent une dimension inédite: 
                                  ils peuvent coopérer, donner, soutenir, 
                                  des gens quils ne reverront jamais plus, 
                                  et de qui, par conséquent, ils ne retireront 
                                  rien. On appelle cela de la générosité, 
                                  et cest la société tout 
                                  entière qui en profite. 
                                Or, ce concept pourrait aussi 
                                  sétendre aux punitions, selon léconomiste 
                                  Ernst 
                                  Fehr et ses collègues de lInstitut 
                                  détudes avancées de lUniversité 
                                  de Zurich. Ils ont conçu un "jeu 
                                  financier" au début duquel les étudiants 
                                  ont reçu de largent, quils 
                                  pouvaient garder, ou avec lequel ils pouvaient 
                                  contribuer au "pot" commun. Plus il 
                                  y avait dargent dans le "pot", 
                                  et plus 
                                  chaque membre du groupe en recueillait à 
                                  la fin de la partie. 
                                A ce concept facile, les chercheurs 
                                  ont ajouté un élément supplémentaire. 
                                  Les joueurs pouvaient punir ceux qui refusaient 
                                  de mettre de largent dans le pot, ou qui 
                                  n'en mettaient pas assez. Les punis devaient 
                                  mettre trois unités monétaires 
                                  dans le pot, et celui qui avait décidé 
                                  de la punition devait en mettre une. 
                                "La plupart des gens pensent 
                                  que lorsque vous punissez quelquun, vous 
                                  le faites pour votre propre bénéfice", 
                                  résume sur les ondes du réseau 
                                  ABC David Sloan Wilson, psychobiologiste à 
                                  lUniversité dÉtat 
                                  de New York. En théorie donc, les joueurs 
                                  auraient dû être heureux de punir 
                                  les avares, puisque cela leur garantissait une 
                                  plus grande part du butin à la fin de 
                                  la partie. Sauf que, compte tenu du fait que 
                                  les participants ne jouaient jamais deux fois 
                                  de suite avec les mêmes personnes, ils 
                                  ne pouvaient donc pas espérer que les 
                                  pertes de la personne punie leur rapportent 
                                  personnellement: ils ne seraient plus à 
                                  cette table lorsque viendrait le moment de partager 
                                  le contenu du pot. 
                                Et pourtant, plus de 80% des joueurs 
                                  ont opté pour le sacrifice dune 
                                  ou plusieurs de leurs pièces, afin de 
                                  sanctionner ceux qui donnaient le moins au groupe. 
                                
                                Et ça fonctionnait : 
                                  plus les jours passaient, et plus ceux qui avaient 
                                  été punis dans des jeux précédents 
                                  finissaient par donner au groupe. La peur de 
                                  la punition finissait par lemporter. La 
                                  peur de la punition, concluent les chercheurs, 
                                  serait vitale pour faire naître un esprit 
                                  de coopération. Du moins, chez une majorité 
                                  de gens. 
                                Ce n'est pas à proprement 
                                  parler ce qu'on appellerait une preuve scientifique. 
                                  Mais ce jeu, Ernst Fehr en est convaincu, ne 
                                  fait quillustrer lomniprésence 
                                  de la punition altruiste dans la vraie vie. 
                                  Ainsi, au travail, ceux qui saffirment 
                                  faussement malades "sont traditionnellement 
                                  sanctionnés par les autres membres du 
                                  groupe", affirme léconomiste. 
                                
                                Le lien paraît faible, mais 
                                  on sétonne de le voir étiré 
                                  jusquà lactuelle guerre contre 
                                  le terrorisme. Dans son reportage, ABC affirme 
                                  que celle-ci peut être expliquée 
                                  "au moins en partie, par la punition altruiste". 
                                  Le réseau américain donne en exemple 
                                  lhabitant dun petit village de lIllinois 
                                  qui a décidé de sengager 
                                  après les événements du 
                                  11 septembre. "Le risque que des terroristes 
                                  attaquent son petit village sont minces": 
                                  cet homme na donc aucune raison rationnelle 
                                  de prendre part au conflit, surtout quand on 
                                  pense que cela peut lui coûter la vie. 
                                  Il serait donc poussé à cela en 
                                  vertucest linterprétation 
                                  dABC- de ce concept de punition altruiste: 
                                  punir les "méchants", pour 
                                  que le groupe tout entier en retire davantage 
                                  de bénéfices.
                                "Notre hypothèse est 
                                  que les émotions négatives (comme 
                                  la colère) sont la force motrice derrière 
                                  la punition", explique Fehr. Et quen 
                                  conséquence, la colère serait 
                                  une des forces motrices de notre civilisation. 
                                
                                Quoique ça, on le savait 
                                  déjà. Mais il fallait un économiste 
                                  pour lui accoler une valeur positive...