
Le 19 décembre
2005

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La science au pays des Ayatollahs
(Agence Science-Presse) - Alors que les envolées
incendiaires du nouveau président Ahmadinejab emmurent
davantage l'Iran, les Occidentaux sont nombreux à
imaginer ce pays sous la forme d'extrémistes bornés
et de traditionnalistes pour qui le seul lien avec la science
est le rêve d'une bombe atomique. Pourtant, de nombreux
scientifiques iraniens, dans de multiples domaines, collaborent
avec des collègues étrangers... y compris
américains! L'ancien sous-ministre iranien à
la recherche scientifique est, depuis août, professeur
invité à l'Université McGill de Montréal.
Montréal, explique Reza Mansouri, représente
un lieu propice pour se consacrer pendant un an à
ses travaux sur le cerveau, à l'écart du tumulte
politique iranien.
Une révolution scientifique iranienne,
titrait même la revue américaine Science
cet automne, dans le cadre d'un article de fond consacré
à l'éclosion de centres technologiques d'avant-garde
partout au pays.
La liste est longue. Construction de campus
universitaires, de centres de recherche spécialisés
et de laboratoires de biochimie, biophysique, de sciences
médicales, de physique, d'astronomie et d'énergie
nucléaire, entre autres...
À lui seul, le laboratoire du Centre
national de recherche sur l'ingénierie génétique
et la technologie de Téhéran vient d'acquérir
un canon à gènes ultra-perfectionné,
capable d'introduire les molécules d'ADN dans les
cellules. "Le rêve de toute université en
Iran", disait dans Science, enthousiaste, le
biologiste moléculaire Amir Mousavi.
L'effervescence est contagieuse. Les revues
scientifiques internationales commencent à reconnaître
la contribution des chercheurs iraniens. Avant la révolution
islamique de 1979, ceux-ci n'avaient publié que 400
articles. Depuis, plus de 5000.
Derrière cette effervescence se cache
toutefois un paradoxe, reconnaît M. Mansouri, en entrevue
à l'Agence Science-Presse. "Quand on observe l'administration
iranienne d'un point de vue extérieur, d'aucuns considéreraient
impossible une conciliation entre la science et la religion".
C'est pourtant juste après la révolution qu'une
vingtaine de mathématiciens et de physiciens réunis
autour de Reza Mansouri ont réussi à convaincre
des politiciens de la nécessité de soutenir
financièrement la recherche scientifique.
Vingt ans plus tard, le physicien a de toute
évidence gravi les échelons: "en 1999,
j'ai persuadé le gouvernement de voter une hausse
des dépenses allouées à la recherche
dans le programme de développement scientifique,
faisant passer les investissements de 0,2% du produit intérieur
brut (PIB) à 0,6%."
Parallèlement, le Parlement aurait
accepté d'augmenter les dépenses à
2% du PIB au cours des cinq prochaines années, poursuit
Reza Mansouri.
Du coup, les initiatives économiques
de l'État viennent de surpasser tous les investissements
consacrés à la science dans l'histoire du
pays.
En fait, pour retrouver un engagement gouvernemental
comparable envers la communauté scientifique, il
faut remonter... à la guerre Iran-Irak! Reza Mansouri
affirme qu'à l'époque, les contribuables n'auraient
pas consenti à des investissements importants en
science et technologie, n'eut été de la nécessité
d'acquérir des technologies militaires.
Mais on est à présent loin des
investissements militaires: le gouvernement a par exemple
donné son aval, en 2004, à la construction
d'un observatoire spécialisé dans l'étude
des pulsars et des planètes extrasolaires, réclamé
par toute la communauté scientifique depuis 1970.
"J'ai présenté ce projet au ministre responsable
et j'en ai reçu l'approbation en moins de trois minutes!",
affirme, sourire en coin, Reza Mansouri.
Les préjugés à l'endroit
de la communauté iranienne ont la vie dure. Ainsi,
depuis que leur pays s'est fait accoler le titre d'axe du
mal par le gouvernement Bush, les scientifiques iraniens
ont établi plus de collaborations avec leurs homologues
américains qu'avec n'importe quel autre pays! "Le
peuple de l'Iran n'a jamais eu de problèmes avec
le peuple américain", répond calmement
M. Mansouri.
Ainsi, l'Institut iranien de physique et la
Société américaine de physique ont
paraphé en 2003 une entente pour développer
les recherches en astrophysique sur la théorie des
cordes. Et alors que les Etats-Unis soutiennent le milieu
scientifique en Irak et en Afghanistan, l'Iran pourrait
se montrer un précieux allié, soutient Reza
Mansouri: "nous connaissons très bien la culture
de ces deux pays et l'Iran pourrait facilement leur fournir
l'expertise requise pour bâtir de nouveaux laboratoires
de physique et ce, à tous les niveaux".
Maintenir le cap
L'élection du président Mohamad
Ahmadinejab en juin risque-t-elle de freiner cet essor?
La communauté scientifique le craint en effet, admet
le professeur, qui définit toutefois les turbulences
actuelles comme faisant partie des fluctuations politiques
normales sans effet sur la tendance à long terme.
"Laissons les politiciens à la politique."
Pour continuer sur sa lancée, l'Iran
doit impérativement accélérer la création
de centres d'excellence en recherche au niveau national,
croit le principal intéressé. Ces établissements
serviront à retenir la relève scientifique
dans ce pays qui, pour l'instant, souffre d'un exode des
cerveaux vers l'Occident.
Une autre des grandes priorités est
d'accorder à la communauté scientifique une
plus grande liberté d'action pour s'émanciper,
prend-il soin d'ajouter. "Il faut laisser les chercheurs
se rendre aux colloques et aux conférences, leur
donner la latitude de faire ce qu'ils veulent comme scientifiques.
On doit leur permettre d'utiliser Internet, d'acheter des
livres et des revues spécialisées. Toutes
ces mesures restent assurément de bien meilleurs
incitatifs que la question salariale pour contrer l'exode
des cerveaux."
Danny Raymond
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