Un pont entre deux rives
(ASP) - Deux solitudes : les chercheurs
scientifiques dun côté, les communicateurs
et vulgarisateurs de lautre. Deux univers qui se
côtoient rarement, qui signorent carrément,
voire se méfient lun de lautre. Mais
qui, pourtant, se nourrissent mutuellement.
"Établir un pont entre deux
rives " cest le défi que s'était
donné le colloque organisé les 14 et 15
septembre par lorganisme Science pour tous et lACFAS,
lAssociation francophone pour le savoir. Intitulé
Diffusion vulgarisée de la science et de la
technologie : Rencontre entre les producteurs et
les diffuseurs, ce colloque, qui avait lieu au Centre
des sciences de Montréal, aura été
un des très rares évènements à
réunir physiquement des chercheurs et des diffuseurs
journalistes scientifiques, muséologues,
professeurs de science, vulgarisateurs de toutes sortes.
Lan dernier, au lendemain du dépôt
de la Politique scientifique du gouvernement du
Québec la première en près
de 20 ans- le besoin sétait fait plus évident
pour une telle rencontre. Le ministre dalors à
la Recherche, la science et la technologie, Jean Rochon,
avait souvent répété que les chercheurs
ont le devoir de diffuser leurs découvertes au-delà
de la communauté scientifique. Dans le cas des
sciences sociales, cela devient même une exigence
lors de loctroi des subventions.
Mais cest souvent plus facile à
dire quà faire. "Les chercheurs doivent
produire et développer leurs recherches, doivent
remplir leur tâche denseignement, et sont
souvent encouragés à démarrer leur
entreprise", fait remarquer Jean Nicolas, chercheur
en génie mécanique à lUniversité
de Sherbrooke. Ils manquent cruellement de temps. "On
ne peut plus faire du bénévolat", dit-il.
Pourtant, ils sont une poignée à
prendre à cur la diffusion de leurs découvertes
et le partage de leurs connaissances auprès du
grand public. Pour le pédagogue Yvon Fortin, professeur
en sciences physiques au Cégep Garneau à
Québec, cest un acte naturel et humain. "Nous
vivons dans un monde où les arts, la culture et
la science se côtoient. La diffusion de la science
devrait tenir la même place que la diffusion des
arts
De la même manière que lartiste
ressent le besoin de dévoiler ses oeuvres, il en
est de même pour le chercheur vis-à-vis de
ses découvertes". "Cest pour le
plaisir dabord", ajoute Jean Nicolas.
Mais au-delà de ces considérations
existentielles, dans le pratico-pratique, les chercheurs
le reconnaissent, la vulgarisation scientifique est un
exercice difficile et périlleux. Difficile, parce
qu'il est souvent délicat de parler science sans
utiliser de termes scientifiques, et périlleux
car, dans lexercice, il peut vite arriver de faire
des digressions et ainsi, dénaturer le sujet. Jacques
Kirouac, directeur général de Science pour
Tous et coordonnateur du colloque, saccorde avec
les chercheurs sur " limportance dune
collaboration entre le chercheur qui détient linformation
et le communicateur qui possède le professionnalisme
pour la traduire et la diffuser ".
Le point de vue des communicateurs
Les communicateurs, justement. Quelles sont
leurs propres attentes face aux chercheurs ? Chose
certaine, ils ne se voient pas comme de simples courroies
de transmission entre les chercheurs et le grand public,
mais veulent jouerr un rôle proactif dans la diffusion,
ne serait-ce que par le choix des sujets. " On
a besoin de comprendre notre société afin
de mieux juger ses enjeux et il sagit là
dun travail de longue haleine ", souligne Claire
Levasseur, directrice générale de lAssociation
des communicateurs scientifiques (ACS), la seule association
du genre au Québec, qui regroupe journalistes,
relationnistes et autres " diffuseurs "
de science.
Pour Jean Nicolas, ancien vice-recteur à
la recherche de lUniversité de Sherbrooke
et membre du conseil dadministration de lACS,
"lenjeu est important. On vit dans une société
dite de la connaissance, et les gens sont curieux de nature".
"Lunivers dans lequel on vit maintenant est
un monde dimages, ajoute Yvon Fortin. Malheureusement,
lorsquon pense science, on fait souvent référence
à la science-fiction... Il faut faire connaître
la teneur et limportance qua la science dans
notre vie de tous les jours, pour mieux informer le citoyen
et lui donner les outils pour quil puisse juger."
Bref, à court terme, dabord
et avant tout, bien informer les jeunes. "Par exemple,
signale Yvon Fortin, beaucoup de jeunes sorientent
en informatique avec lidée quils vont
pouvoir créer leurs propres jeux dordinateur,
et souvent, ils sont déçus et doivent se
réorienter. Car ce nest pas cela quon
apprend en informatique, mais cest surtout des maths
et la programmation, ce qui nest pas pour plaire
à tous!". Dans le même esprit, il faut
détruire le mythe que ce sont les meilleurs qui
vont en sciences, mythe entretenu par un incessant " discours
de carrière ", quon retrouve jusquau
gouvernement. Vaudrait mieux faire valoir chez les jeunes
les qualités quils auront à développer,
telle louverture desprit, la rigueur scientifique...
Enfin, autre dossier " chaud "
débattu au colloque, le financement et limplication
autant de lentreprise privée que des gouvernements
et de leurs organismes subventionnaires. À côté
des budgets alloués à la recherche, ceux
qui vont vers la diffusion de la science, vers la culture
scientifique, apparaissent en effet bien maigres. Dune
part, " le ministère de la Recherche,
de la Science et de la Technologie, applaudit la volonté
des chercheurs de diffuser leur savoir, mais sans quaucun
suivi nait été fait jusqu'ici ",
fait remarquer Claire Levasseur. Dautre part, ce
quon appelle la diffusion de la culture scientifique,
dépend du ministère de la Culture et de
la Communication, qui se dit parent pauvre en la matière.
Alors comment résoudre la quadrature du cercle ?
Parmi les solutions possibles, Hervé Fisher, président
de Science pour tous, a avancé que 1% des subventions
accordées à la recherche soient réservées
à sa diffusion. Jean Nicolas avance aussi lidée
quun certain pourcentage puisse être réservé
pour la formation en vulgarisation de chaque étudiant
à la maîtrise ou au doctorat.
Claire Levasseur, ancienne directrice générale
de lAstrolab du Mont Mégantic, sait dexpérience
quil est possible daller trouver des mécènes
auprès de lentreprise privée. La visibilité
est souvent un bon argument pour les convaincre: la création
du Centre des Sciences dans le Vieux-Port de Montréal
en est un bon exemple. Mais " il reste un long
chemin dexploration à faire ".
Pour mieux diffuser la science auprès du grand
public, que cela soit fait par les chercheurs, les communicateurs
ou les deux, " il faut à tout prix convaincre
les gouvernements quils ont une responsabilité
là-dedans ", affirme Claire Levasseur.
Avec lavenue du colloque, la pierre est lancée
et le pont se construit...