Ces dernières années, on a beaucoup insisté sur le fait qu’entre le chimpanzé et nous, seulement 1% des gènes diffèrent. On a peut-être un peu trop insisté : car si les gènes sont bel et bien les mêmes, le 1% ne dit pas tout.

C’est que deux gènes semblables, chez l’humain et chez le chimpanzé —ou chez tout autre bestiole— peuvent « travailler » différemment : produire plus de protéines, moins, ou pas du tout.

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Étonnamment, deux de ceux qui ont eu l’intuition que le 1% n’était pas tout, sont également ceux qui avaient prédit, il y a longtemps, ce 1% : en 1975, le biologiste de l’évolution à l’Université de Californie Allan Wilson, et son étudiante Mary-Claire King, publiaient dans Science un article devenu historique, où ils apportaient les premiers arguments solides quant à une différence génétique minime entre le chimpanzé et l’humain.

« Pendant plusieurs années, résume aujourd’hui dans Science le zoologue Pascal Gagneux, de l’Université de Californie, le postulat du 1% nous a bien servi, parce que nous avions tendance à sous-estimer combien nous (humains et chimpanzés) sommes similaires. » Mais à présent que la chose est bien établie (sauf chez les créationnistes!), il est temps de passer à une autre étape.

Quels sont les mécanismes génétiques qui sont derrière le développement de plus gros cerveaux, de la marche debout, et de phénomènes plus spécialisés comme la résistance au sida chez les chimpanzés? Pour répondre à de telles questions, le flot ininterrompu de nouvelles données génétiques révèle de plus en plus la nécessité de regarder du côté de « connections altérées dans des réseaux de gènes », de « gènes bonus » (extra genes), de séquences d’ADN manquantes; des choses bien obscures pour le profane, et qui le sont encore pour les généticiens eux-mêmes, tant leur exploration est récente.

Ce n’est qu’en décembre dernier, par exemple, dans la revue PLoS One, qu’une équipe de l’Indiana comparant les génomes du chimpanzé et de l’humain a évalué à 6% la proportion de gènes « mal copiés », c’est-à-dire gagnés ou perdus au fil de l’évolution. En termes savants cela se dit ainsi : « la duplication et la perte de gènes peut avoir joué un plus grand rôle que la substitution de nucléotides dans l’évolution de phénotypes spécifiquement humains ». Vous suivez toujours?

Et encore, ces différences, en soi, ne veulent rien dire : un gène altéré, disparu ou ajouté peut fort bien n’apporter aucun avantage (ni désavantage). « Distinguer les différences qui comptent de celles qui ne comptent pas, telle est la vraie difficulté », résume David Haussler qui, à titre d’ingénieur biomoléculaire (ça existe vraiment!) à l’Université de Californie à Santa Cruz, a identifié en 2006 de nouveaux éléments du génome humain qui semblent réguler les gènes.

Enfin, au bout de toutes ces recherches, il restera toujours la culture : quand bien même on identifierait tous les gènes et tous les mécanismes génétiques qui diffèrent entre le chimpanzé et nous, on n’aurait pas expliqué pourquoi deux humains peuvent apprécier les choses de manière complètement différente, goûter différemment, rire différemment ou aimer différemment. Une série de mystères qui débordent de loin l’hélice d’ADN.

Pascal Lapointe

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