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Un simple bout d’os du petit doigt, et voilà l’espèce humaine chambardée. Cet os dissimule une séquence génétique si différente de la normale qu’il pourrait s’agir d’une enfant du Néandertal comme on n’en avait jamais rencontrée jusqu’ici... ou d’une nouvelle espèce humaine.

Un rappel. Il y a 40 000 ans, deux espèces humaines marchaient dans les vallées et les forêts d’Europe : l’Homo sapiens — nous — et le Néandertalien — dont les ultimes représentants allaient s’éteindre 12 000 ans plus tard. Pourquoi en parle-t-on comme deux espèces distinctes? Parce que le décodage des gènes du Néandertalien, ces dernières années, a confirmé qu’il s’agit d’une branche parallèle de l’évolution. Ses ancêtres et les nôtres se sont séparés il y a 500 000 ou 600 000 ans; et pendant les milliers d’années où tous deux ont cohabité en Europe, ils ne semblent pas avoir produit de descendance « hybride ».

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Mais si plusieurs médias ont été prompts, la semaine dernière, à attribuer le statut de « nouvelle espèce » à la découverte de ce petit os, les auteurs, eux, n’ont jamais utilisé le mot « espèce ». Dans leur rapport, publié le 24 mars dans l’édition en ligne de la revue Nature, les Allemands Johannes Krause et Svante Pääbo — celui qui est aussi derrière l’essentiel du décodage des Néandertaliens — et leurs collègues parlent plus prudemment de « lignées d’hominidés génétiquement distinctes ».

Le bout d’os — une phalange, dont l’âge est situé entre 30 000 et 48 000 ans, avec une plus grande probabilité autour de 40 000 — provient de fouilles menées à l’été 2008 dans la caverne Denisova, en Sibérie. Plus précisément, dans les monts Altaï, non loin de la Mongolie. C’est beaucoup plus à l’est que d’habitude — et là réside l’argument-clef de ceux qui se montrent sceptiques quant à l’étiquette « nouvelle espèce ». Jusqu’ici, les ossements de Néandertaliens qui ont servi à dresser leur carte génétique provenaient presque tous d’Europe. Peut-être, suggèrent les sceptiques, manquons-nous de données quant à la diversité génétique des Néandertaliens? Autrement dit, peut-être qu’à mesure que nous découvrirons des Néandertaliens d’Asie, les gènes de ce bout d’os se révéleront moins excentriques qu’ils n’en ont l’air.

C’est la thèse défendue par l’anthropologue John Hawks dans une analyse fouillée parue sur son blogue. Il s’appuie aussi sur le fait que ce qu’on a pu extraire de ce bout d’os est de l’ADN mitochondrial, c’est-à-dire une mince partie de notre génome (qui a la particularité de subir des mutations uniformes au fil des générations, d’où son intérêt comme « calendrier »). Le décodage d’un ADN mitochondrial aussi ancien constitue un exploit scientifique, mais ne donne malgré tout qu’un portrait partiel.

À l’inverse, le Suisse Laurent Excoffier penche vers l’hypothèse « nouvelle espèce ». Il s’appuie sur le fait que le génome mitochondrial de ce bout d’os diffère en 385 endroits du nôtre, alors que celui du Néandertalien ne diffère — en vertu de nos connaissances actuelles — qu’en 202 endroits. À l’échelle génétique, c’est une énorme différence, qui suppose des dizaines de milliers de générations d’évolution distinctes. C’est ainsi que pour trouver le plus récent ancêtre commun à cette femme et à nous, il faudrait remonter d’un million d’années, évaluent les chercheurs. Alors qu’entre le Néandertalien et nous, il ne faut remonter « que » de 500 000 à 600 000 ans.

Dans tous les cas, on ne fait que commencer à entendre parler de ce type de recherche impliquant un mélange de génétique et de petits bouts d’os. Alors qu’on croyait impossible, il n’y a pas si longtemps, d’être capable de décoder des séquences génétiques vieilles de quelques milliers d’années, les progrès fulgurants de la technologie font désormais saliver ces passionnés de préhistoire. « Il est fascinant, commente Svante Pääbo, que les études moléculaires apportent une contribution à la paléontologie, là où il subsiste peu ou pas du tout d’ossements. Il est clair que nous n'en sommes qu’au début. »

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