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Ces dernières semaines, les Québécois ont enrichi leur vocabulaire : gaz de schiste. Mais au-delà des accusations d’accointances gouvernement-industrie, au-delà des retombées économiques fabuleuses, de quoi parle-t-on? Portrait en 6 questions.

C’est quoi, le gaz de schiste?

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C’est du gaz naturel, emprisonné depuis des dizaines de millions d’années dans la roche dite de schiste. Il est qualifié de « non conventionnel » parce qu’au contraire du gaz naturel mieux connu, qu’on trouve dans de vastes réservoirs, celui-ci est coincé dans les interstices de la roche, à des centaines de mètres de profondeur, et éparpillé dans des millions de petites bulles. Donc, très difficile à atteindre.

Pourquoi en parle-t-on soudain autant?

C’est en effet étrange quand on sait que le gaz de schiste, ou gaz de shale en anglais, est connu depuis plus de 150 ans. On en extrayait notamment en Illinois et sous les Appalaches —les géologues appellent ça la strate Marcellus, qui court sous la Pennsylvanie, la Virginie occidentale et une partie de l’État de New York— mais dans des proportions marginales, en raison des coûts trop élevés.

Des progrès technologiques au tournant des années 2000, ont changé la donne. Aux États-Unis, on s’est alors mis à prospecter un peu partout, avec pour résultat qu’entre 2007 et 2009, les statistiques sur les réserves potentielles de gaz naturel ont plus que doublé, selon la firme de consultants IHS Cambridge Energy. En avril 2010, un rapport tout aussi optimiste de la Société canadienne des gaz non conventionnels, allait jusqu’à dire que les quantités connues avaient triplé. À ce rythme, le gaz de schiste pourrait représenter la moitié de la production de gaz naturel en Amérique du Nord d’ici 2020. L’Australie, l’Afrique du Sud et la Russie ont également annoncé d’importantes découvertes depuis 2009; l’Inde et la Chine seraient aussi dans la course.

Ces nouvelles techniques d’extraction sont-elles au point?

Difficile à dire, parce que l’engouement est récent... et la plupart des données proviennent de l’industrie. À la base, le principe semble simple : injecter, à très haute pression, des tonnes d’eau dans la couche de schiste, accompagnées de sable et de produits chimiques, afin de fracturer la roche (en anglais, fracking) et ainsi, en libérer le gaz. C’est cela que les progrès techniques permettent de réaliser à moindre coût.

Mais les inquiétudes viennent de la possibilité que, en fracturant la roche, une partie du gaz et des produits chimiques ne s’échappent pas juste par le puits du prospecteur, mais par une fuite dans le sous-sol, atteignant ainsi la nappe phréatique. C’est ce qui s’est produit en Pennsylvanie en 2008-2009 : puits contaminés, et une eau devenue impropre à la consommation en deux endroits. Un puits a même explosé en juin 2009, répandant du gaz et de l’eau contaminée pendant 16 heures.

La semaine dernière, le 31 août, le Wyoming s’ajoutait à cette liste peu enviable : l’Agence de protection de l’environnement avisait les résidents de Pavillion de ne pas boire l’eau de leurs puits, et d’utiliser une ventilation lorsqu’ils prennent une douche ou lavent leur linge... afin d’éviter les risques d’explosion. Onze des 39 puits étudiés sont contaminés par les produits chimiques associés à l’extraction de gaz, en cours là-bas depuis cinq ans.

Parmi les produits chimiques en question : du carburant diesel, du benzène et des solvants industriels.

On comprend alors que ses adversaires disent du gaz de schiste qu’il est au gaz naturel ce que les sables bitumineux sont au pétrole.

La qualité de l’eau est donc la grande inquiétude?

Même le rapport optimiste de l’IHS le reconnaît dans un langage prudent : « l’eau a émergé comme étant le problème environnemental le plus visible du gaz de schiste ».

La ville de New York a réclamé un moratoire sur l’extraction de gaz dans la région où elle puise l’eau pour ses 5 millions d’habitants. En réponse, le Sénat de l’État de New York a voté le 3 août un moratoire sur tout nouveau permis de forage jusqu’en mai 2011. L’Agence américaine de protection de l’environnement a commencé en mars 2010 une étude des impacts du fracking sur la qualité de l’eau. Celle-ci doit s’étendre jusqu’en 2011.

Jusqu’ici, les législations floues permettent à des compagnies de se lancer dans l’aventure en court-circuitant les étapes... ou en négligeant d’aviser les municipalités, comme on l’a appris en août au Québec. Dans le cas des incidents de Pennsylvanie, deux compagnies du Texas, EOG Resources et Cabot Oil & Gas, ont été condamnées à des amendes pour avoir failli à des normes de sécurité élémentaires.

Par ailleurs, en 2009, des géophysiciens ont déployé dans le nord du Texas des sismographes pour vérifier l’hypothèse d’un lien entre une activité sismique apparemment anormale et des centaines de forages entrepris ces dernières années.

Quelle est l’empreinte carbone ?

Mais du côté des gaz à effet de serre par contre, tout va bien! C’est d’ailleurs la raison de l’engouement à l’égard du gaz de schiste. Brûlé, il émet deux fois moins de dioxyde de carbone que le charbon et produit moins de polluants responsables du smog. [ ajout, 9 septembre: on parle beaucoup aujourd'hui d'un chercheur qui affirme que le forage de gaz de schiste produirait plus de CO2 que le charbon, mais ce sont des résultats encore préliminaires. On en saura plus dans 2 mois. ]

C’est pourquoi le gaz naturel est un hybride... du discours écologique : on le présente comme un carburant de transition entre notre époque pétrole-charbon, et une époque future où, espère-t-on, toute l’énergie sera produite à partir de sources renouvelables. Pour les gouvernements désireux de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre, il est donc une porte de sortie idéale. On l’évoque même comme carburant pour les véhicules.

L’extraction du gaz de schiste représente-t-elle une évolution inévitable?

À première vue, oui. Parce que nos sociétés sont gourmandes et que la quête d’un carburant pas cher l’emporte sur les considérations écologiques.

En fait, cette poussée vers un gaz emprisonné dans une roche située à des centaines de mètres de profondeur, suggère un parallèle avec le pétrole. Au début du 20e siècle, on se satisfaisait de gisements où il suffisait pratiquement de creuser un trou. Ces sources s’épuisant peu à peu —et notre soif de pétrole continuant de croître— les prospecteurs se sont tournés vers les bords de mer, puis vers des gisements sous-marins situés à des profondeurs de plus en plus grandes —et comportant de plus en plus de risques, comme on l’a vu cet été.

Avec le gaz naturel, on suit le même parcours, parce que notre demande en énergie continue de croître, et que rien ne laisse croire qu’elle va ralentir prochainement.

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