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Or donc, la fin du monde a été remise à une date ultérieure. Si vous cherchez le terme psychologique désignant les louvoiements de ceux qui y ont cru et y croient encore, c’est : dissonance cognitive. Ou l’art — douloureux — de concilier, dans notre tête, deux faits totalement contradictoires.

Chaque jour, notre cerveau travaille à ajuster de nouvelles connaissances avec ce que nous savions déjà (ou pensions savoir). Mais il arrive que deux faits entrent en collision, comme pour ces gens qui croyaient dur comme fer que le jugement dernier devait avoir lieu samedi : je devrais être mort, mais je suis encore vivant.

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Comment réconcilier ces faits tout en évitant d’admettre à soi-même qu’on a été naïf, qu’on s’est fourvoyé, ou que celui en qui on croyait si fort nous a trompé?

Les psychologues ont beaucoup étudié cette question... parce que des annonces de fin du monde, il y en a eu beaucoup! L’Américain Leon Festinger est le plus ancien connu : en 1954, un groupe appelé « The Seekers » (chercheurs de vérité) croyait avoir reçu un message d’extraterrestres annonçant la fin du monde pour le 21 décembre. L’échec de cette prophétie ne les a pas empêchés... de continuer à croire. Ce groupe est devenu le sujet du livre When Prophecy Fails .

Rapidement, les croyants adoptent une position qui leur permet de concilier leur croyance avec les faits nouveaux. Souvent, cela prend la forme de : Dieu a choisi de nous donner une seconde chance. Ou encore, et c’est « l’explication » choisie par Harold Camping, ce « pasteur » qui avait prédit le commencement de la fin pour le 21 mai : le monde sera bel et bien détruit, mais ce sera le 21 octobre. Camping a fait cette annonce sur sa chaîne de radios lundi soir, après deux jours de silence.

Mais ce processus de rationalisation peut être douloureux. Pendant la fin de semaine, les journalistes ont retracé certains croyants, déchirés dans leurs convictions. Le plus « public » semblait aussi le plus désarçonné : Robert Fitzpatrick, qui était, avec son affiche annonçant la fin, sur Times Square le 21 mai. Et qui aurait dépensé les 140 000$ de son fonds de retraite pour acheter des publicités annonçant la fin. Sa première réaction, telle que décrite par les journalistes qui l’interrogeaient :

Lorsque l’heure est arrivée et passée, il a dit : « je ne comprends pas pourquoi... » avant de s’interrompre et de regarder sa montre. « Je ne comprends pas pourquoi rien ne s’est produit. »

À Oakland, Californie, où se trouve la modeste maison d’Harold Camping, un journaliste a rencontré un autre de ces croyants, dont le discours est révélateur de la force d’une croyance, aussi irrationnelle soit-elle :

Je ne suis pas déçu. Je pensais que le monde s’arrêterait cette fin de semaine. Ça n’est pas arrivé. Mais je continue de croire que ça va venir bientôt. À part cette histoire du 21 mai, tout le reste de ce qu’a dit M Camping est toujours vrai. Ça l’est nécessairement, parce que c’est pris directement de la Bible, dont il est un grand expert.

Le fond du problème, résument les psychologues, est qu’il nous est très humiliant d’admettre que nous avons eu tort et plus encore, que nous avons été trompés. Elliot Aronson résume cette pensée dans le titre même de son livre : Mistakes Were Made (But Not By Me) .

Et pourquoi cela s’arrêterait-il à la religion? Ces dernières années, d’autres psychologues ont tracé des parallèles avec les gens qui évoquent des théories du complot, adhèrent au créationnisme ou nient le réchauffement climatique : on est là aussi face à des gens qui luttent pour concilier une croyance très forte avec des preuves du contraire pourtant solides.

C’est pourquoi, prévoit Leon Festinger, le scénario le plus probable pour les adeptes du 21 mai, est qu’ils préféreront continuer de croire à leur prophète. En fait, si les fins du monde précédentes doivent servir de modèle, non seulement plusieurs adeptes continueront-ils de croire, mais leur ferveur sera accrue.

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