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Le problème derrière une étude française qui prétend démontrer la nocivité des OGM, c’est qu’elle ne s’appuie peut-être pas sur le bon type de rat, qu’une partie de son échantillon est trop petite, que la quantité de maïs consommée aurait été sujette à caution, et qu’elle a fait le tour des médias avant que quiconque ait pu la lire.

 

Ce sont quatre des objections qui sont venues mercredi de la communauté scientifique internationale, pendant que les machines médiatique et politique françaises s’emballaient.

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À la base, une histoire potentiellement explosive: un chercheur bien connu pour son opposition aux OGM, Gilles-Éric Séralini, a publié le 19 septembre avec son équipe, une étude associant les OGM au développement de tumeurs chez des rats. Les tumeurs seraient trois fois plus nombreuses chez les femelles soumises à une alimentation à base du maïs NK603 de la compagnie Monsanto.

L’histoire est également assaisonnée d’un récit «d’opération ultrasecrète» et de «courriels cryptés comme au Pentagone», selon le reportage qu’en a fait le même jour Le Nouvel Observateur —qui lui a consacré la Une de son édition de cette semaine.

Cette opération sera apparemment traitée dans un livre à paraître le 21 septembre, La vérité sur les OGM, c’est notre affaire, signé Corinne Lepage, une collaboratrice de longue date de Séralini. Le livre est censé «exiger des comptes» des autorités françaises et européennes sur leur gestion du dossier des OGM. Un livre de Gilles-Eric Séralini doit également sortir le 26 septembre, Tous cobayes? parallèlement à un film du même titre, ce dernier offrant entre autres les images de rats étouffant sous leurs tumeurs que publie l’étude Séralini.

Or, au-delà de cette stratégie de communication et de marketing, l’aspect purement scientifique de l’étude laisse beaucoup de questions en plan.

 

  • Les rats choisis pour l’expérience, de type Sprague-Dawley, sont connus pour développer fréquemment des tumeurs mammaires, y compris dans des études où ils sont bien nourris.
  • L’étude portait sur 200 rats, divisés en 10 groupes de chaque sexe, soit des groupes de 10; il n’est pas anormal d’avoir des échantillons aussi petits, mais pour tirer des conclusions de cette importance, les auteurs ne pouvaient pas ignorer que ce serait très contestable.
  • Concrètement, ces 200 rats ont été divisés comme suit: 1) trois groupes de chaque sexe ont reçu une diète contenant respectivement 11, 22 et 33% de maïs OGM sans le pesticide Roundup de Monsanto; 2) trois groupes de chaque sexe ont reçu du maïs OGM dans les mêmes proportions, mais traité au pesticide Roundup; et 3) trois groupes de chaque sexe ont reçu une diète «normale», mais avec du Roundup dans leur eau à diverses doses.
  • Reste donc un seul groupe, le dixième, qui a été le «groupe de contrôle», c’est-à-dire 10 rats de chaque sexe qui n’ont reçu ni OGM, ni Roundup. Autrement dit, toutes les comparaisons rapportées dans les médias depuis mercredi, reposent sur ce seul groupe de 10 mâles et 10 femelles.
  • À titre d’exemple, sur ces 20 rats du groupe contrôle, cinq ont eu des tumeurs et sont morts (25%). Parmi les autres groupes, nourris aux OGM ou soumis au Roundup, le taux de décès monte jusqu’à 70%, ou descend sous les 25%. Une partie critique des données n’est pas disponible, pour des raisons que les chercheurs expliquent par le manque d’espace.
  • Une diète allant jusqu’à 33% de maïs représente beaucoup de maïs pour l’organisme d’un rat, surtout si on ne lui impose pas de limites sur ce qu’il peut manger (la chose n’est pas précisée). Le plus haut taux de tumeur pourrait-il être causé par le maïs, qu'il soit OGM ou non OGM? Une comparaison avec un autre type d’aliment aurait été souhaitable.
  • En conférence de presse, Gilles-Eric Séralini a affirmé que les études sur des rats nourris aux OGM s’arrêtent traditionnellement après trois mois, alors que son étude a duré deux ans, soit toute la vie d’un rat. Or, chez tout groupe d’animaux vivant plus longtemps, il y aura nécessairement davantage de cancers. La méthode statistique qui a été choisie pour tenir compte de ce fait laisse perplexes les experts qui ont tenté de la décoder.
  • De plus, contrairement à ce qui a été affirmé, il ne s'agit pas de la première étude portant sur deux ans. D'autres groupes indépendants ont déjà fait une démarche similaire.
  • La présence, dans la recherche, de photos choquantes —abondamment reprises par les médias— de rats atteints de tumeurs presque aussi grosses qu’eux, a du sens s’il s’agit de frapper l’imagination du public, mais est inhabituelle dans une revue scientifique, considérant que ces photos n’apportent aucune information scientifique.
  • Un argument plus troublant est que si l’association OGM-tumeur était aussi claire et nette que ce que ces chercheurs suggèrent, on serait en droit de se demander pourquoi elle n'est jamais ressortie des nombreuses études pondues depuis 20 ans par d’autres groupes tout aussi indépendants de l’industrie des biotechnologies.

 

Au final, l'étude plaît d'ores et déjà à ceux qui veulent y croire —c'est le syndrome de la recherche unique— mais ne répond pas aux critères permettant d'en tirer des conclusions solides.

Gilles-Eric Séralini est président du conseil scientifique du Criigen (Comité de recherche et d’information indépendante sur le génie génétique), groupe qu’il a fondé en 1999 avec Corinne Lepage et Jean-Marie Pelt et qui s’est fait connaître pour son opposition farouche aux OGM. La recherche, parue dans la revue Food and Chemical Toxicology, aurait été financée par le Criigen, un organisme lui-même financé par des militants anti-OGM.

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Texte mis à jour le 20 septembre à 8h40. Encadré mis à jour le 20 septembre à 17h25 et 22h30 et le 21 septembre à 17h40.

 

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